Les élucubrations godiches de Philippe Val ne perturbent pas l’équipe de Charlie Hebdo, qui consent de bon cœur à son rôle d’attachée de presse, en compagnie de Nicolas Sarkozy.
Aucun téléspectateur n’aura été épargné par cette révélation : Philippe Val est désormais un « philosophe ». Depuis la sortie de son Traité de savoir-survivre par temps obscurs (Grasset), dans lequel le protégé de BHL réchauffe au micro-ondes ses barquettes de Spinoza à 0 % (« L’amour nous éloigne-t-il de la guerre ? » « Les singes sont-ils fascistes ? » « Comment être un homme des Lumières aujourd’hui ? »), le golfeur analphabète Sylvain Bourmeau l’accable dans Les Inrockuptibles de questions embarrassantes (« Il y a dans votre livre des propos extrêmement intelligents », 9.1.07) et les animateurs de salons télévisés se l’arrachent.
Le 22 janvier, Val trône à la « matinale » de Canal Plus, puis pontifie chez Yves Calvi sur France 2 au sujet de la mort de l’abbé Pierre en compagnie de Bernard Kouchner et Christine Boutin. « Alors vous, le directeur de Charlie Hebdo... » caquette Calvi, qui escompte une saillie anticléricale mais ne récolte qu’une dissertation sur l’urgence de ressusciter la Constitution européenne pour loger les sans-abri. C’est tout ce qui reste du vernis d’impertinence associé à la « marque » Charlie Hebdo.
Quand d’anciens lecteurs les interpellent, les équipiers du journal rétorquent que « Charlie, ce n’est pas que Val ». Mais ils consentent à lui servir de faire-valoir. Dans un portrait hagiographique de « l’humoriste » paru dans Le Monde (11.1.07), la promotion du taulier reçoit l’appui de son « rédacteur en chef adjoint », Charb, qui fut jadis l’un des rares à oser ruer dans les brancards. Le trublion poncé par les ans découvre que son patron est un génie à deux facettes, « Val qui signe ses éditos, qui parle de sujets très sérieux à la radio et à la télévision, et Val totalement déconnant qui fait les brèves très drôles de la page 16 de Charlie. » « C’est un vrai philosophe », s’émerveille Cabu.
« Toutes les sensibilités s’expriment au journal, plaide Val. Entre Siné et moi, il y a une marge. » La petite chronique de Siné, vestige du Charlie Hebdo contestataire des bouquinistes, procure son alibi pluraliste à un journal strauss-kahnisé où plus une tête ne dépasse, excepté celle, enflée, du directeur. La campagne référendaire du TCE a conforté cette liberté d’expression.
Apprenant qu’une équipe de France 3 avait eu l’audace de tourner un sujet sur l’un de ses salariés opposé à son oui-ouisme, Val fit un scandale et réclama de visionner les images avant diffusion. « On était sidérés, raconte au Plan B une source proche de la chaîne. C’était la première fois qu’un directeur de journal téléphonait chez nous pour censurer un reportage sur l’un de ses collaborateurs. Il n’avait aucun droit à cela, mais il a fait un tel foin que la journaliste a fini par lui envoyer la cassette. » Val exigea des coupes, le sujet passa à la trappe, personne ne protesta.
Car à Charlie Hebdo, on se sent libre. Cabu bat la campagne pour le maire de Paris ; Caroline Fourest promène ses imprécations contre les « islamo-gauchistes » ; Charb sort un livre intrépide contre les fumeurs ; Luz explique dans les pages « Tentations » de Libération pourquoi il porte la moustache (« Tout petit déjà, je voulais des poils », 12.1.07) ; Jul multiplie les dîners mondains et Bernard Maris fait Patou et Patachon avec Jean-Marc Sylvestre (lire p. 16-17). Tous ânonnent le sermon des repentis successivement prêché par BHL, Plenel, Joffrin et désormais Val dans son dernier livre : « Nous sommes cette espèce qui a le devoir de penser contre elle-même. »
Le Plan B n°6 (février - mars 2007)
http://www.leplanb.org/page.php?article=51&PHPSESSID=eda087be46727d34cfd047dee252b611