Jean-Pierre Alaux, du GISTI, dans un article précédent, s’étonnait de la dangereuse discrétion autour du procès des 6 militants, le 14 juin, TGI de boulogne.
Pas de réunion de presse, pas de grandes déclarations enflammées montrant la honte d’un pouvoir qui s’en prend aux défenseurs des opprimés.
Auto-émulation
En mai, juin, juillet 2004, nous avions formé sans nous entendre réellement, un groupe de témoins photographes pour repousser les interventions des CRS contre les réfugiés au moment des repas.
Calais était devenu pour les policiers un endroit invivable car susceptible de diffuser les images de leur violence.
Les réactions envers les possesseurs d’appareil-photo conduisirent les CRS, d’abord à surveiller avant les interventions la présence ou non de témoins, à molester un patron de café en 2006, puis à arrêter un journaliste local, en 2007. Les policiers étant persuadés que nous formions une ligue contre eux.
Peur sur la ville
A la suite de la diffusion de la rafle du mois de juin 2004, le préfet du Pas de Calais a lancé sa fatwa. Les sites ont été repérés et l’instruction lancée.
La mise en examen de certains d’entre nous en 2005, freina les prises de vue des policiers en action. Et je me retrouvais à continuer quotidiennement le travail de surveillance. Je pensais de mon côté qu’il était illusoire d’espérer un arrêt des poursuites engagées en échange d’un arrêt de la surveillance des policiers. Le donnant donnant ne peut pas exister entre eux et nous.
Depuis l’origine, deux grands courants se sont affrontés : la ligne politique et la ligne humanitaire.
La liberté de circulation et d’installation et/ou le soutien purement humanitaire, sous-entendu sans politisation.
la vieille tactique de la négociation
De l’opposition virulente suscitée par la fermeture du centre de Sangatte, le Collectif qui en était apparu s’est modifié petit à petit, laissant uniquement les purs humanitaires se charger du "problème" posé de la présence d’une masse importante de pauvres étrangers dans nos rues.
Le travail de CSUR consiste à nourrir quotidiennement les réfugiés, à leur trouver des vêtements, à les orienter vers des structures médicales et à aider les demandeurs d’asile à déposer leur demande auprès de la préfecture.
Le collectif CSUR bien organisé et composé de nombreux membres, s’est présenté comme le seul collectif à qui l’on devait s’adresser. Les médias ont compris depuis longtemps et les consultent régulièrement. Les organisations extérieures à Calais ne s’adressent également qu’à CSUR.
Du point de vue diffusion militante, le discours restait très charitable et les tracts se terminaient invariablement par un appel aux dons.
Jamais il ne fut question de soulever le problème du gouvernement anglais qui fermait ses frontières, ni du respect de la convention internationale de Genève sur les droits d’asile. Le rejet de tout ce qui est politique, tout en demandant à la mairie de Calais de devenir un organisme humanitaire, a provoqué l’exclusion de toute forme de lutte politisée. Les seules manifestations instaurées chaque premier vendredi du mois, s’intitulaient "SOLIDARITE AVEC LES REFUGIES" et on se demandait bien en quoi on devait se sentir solidaire, puisque les réfugiés n’exprimaient rien.
En janvier 2006, les représentants du Secours catholique et de Salam ont parlementé avec le sous-préfet de Calais. Deux semaines auparavant, ce dernier supervisait une rafle de tous les présents, au repas du soir (en prévenant au préalable les humanitaires, la larme à l’oeil, tout de même).
Pourtant, l’une des composantes de CSUR, le groupe SALAM, beaucoup plus actif et revendicatif, s’est retrouvé maintes fois au tribunal, l’objectif du pouvoir étant de saborder cette organisation plus politiquement engagée dans l’humanitaire. Plusieurs de ces militants se retrouveront au TGI ce jeudi 14.
Les manoeuvres du sous-préfet sont claires et visent à faire taire les indignations humanitaires, un marchandage qui peut parfois coûter cher pour la défense des droits des réfugiés. Mais qui parle de réfugiés ? Ils sont devenus de simples migrants, rangés dans la masse des pauvres étrangers qui se sont fourvoyés. Et un énième discours de propagande traversa les rangs : peu de réfugiés sur Calais était de véritables réfugiés. Sans les connaître, comment peuvent-ils le deviner ?
Ligne politique
La Mouette Enragée, les Sans papier de Lille, Passons-nous des Frontières et le petit collectif de luttes syndicales que nous formions au départ, ont bien tenté de faire entrer la politique dans le groupe des humanitaires.
De la lutte pour les papiers en France à la lutte pour le passage légal, chacun a agi avec l’objectif politique de la liberté de circulation et d’installation.
Si cette lutte est une lutte extrêmement difficile dans le contexte actuel de dévalorisation du travailleur et d’un chômage de masse provoqué par le patronat, en ce qui concerne les réfugiés, il semblait aisé, pour ma part, de promouvoir leur qualité et prétendre au passage légal.
Petit jeu entre les humanitaires, les élus et le sous-préfet
Sans revendication politique, les humanitaires ont eu à faire front aux reculs de tous les partis politiques censés défendre les droits de l’homme parallèlement à la répression discrète de notre ami le sous-préfet de Calais.
Paradoxalement, l’UMP de Calais, en la personne de Natacha Bouchard, n’a jamais été attaquée sur les innombrables atteintes aux droits de l’Homme commanditées par Sarkozy, son Gourou.
Travail politique de terrain
Pour prendre au piège toutes les forces en présence qui larmoyaient sans arrêt sur la condition des réfugiés, victimes de méchants passeurs, je m’étais décidée en 2004 à tenter d’organiser les réfugiés eux-mêmes, sur leurs droits reconnus par la convention de Genève, le droit à ne pas rester dans les rues de Calais, par exemple, à la merci de policiers qui n’aiment pas toujours courir ou comme mendiant auprès d’organisations caritatives. Le corridor humanitaire façon Sarkozy est parsemé de morts avant de s’étrangler à Calais.
Ce travail politique de rappel des droits nécessitait une présence constante car le milieu des réfugiés est un milieu extrêmement précaire : installer des repères était vital pour une bonne organisation. Et cela necessitait également de montrer aux réfugiés comme à la population calaisienne toute l’illégalité de contrôles répétés, de chasse à l’homme et bien entendu de brutalités sur des hommes affaiblis par leur fuite et l’absence de droits.
Les occasions de mobiliser les réfugiés sur leur droits ont été à l’initiative exclusive des réfugiés eux-mêmes : grève de la faim des soudanais en novembre 2004. Puis, après le passage mortifère de Sarkozy en octobre 2005, Akash, un jeune pakistanais a réussi à mobiliser toutes les nationalités sur les papiers en France ou le passage en Angleterre.
Son travail "politique" auprès des autres réfugiés fut très vite combattu par les représentants humanitaires et le sous-préfet de Calais. Arrestation en préfecture d’Arras, deux tentatives d’expulsion, filature dans les rues de Calais par les CRS et les gendarmes. Mais nous avions réussi néanmoins à poser le problème devant les partis politiques majoritaires et à ouvrir un terrain de lutte sur lequel ils auraient pu s’inclure.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les CRS mettent dans le même sac les humanitaires et tout ce qui a l’allure d’ un embryon politique. Pas de tri chez eux, ils sont là pour réprimer. Le sous-préfet a dans son viseur ce qui empêche une sainte croisade anti-réfugiés et anti-jeunes pauvres.
Refuser la présence des CRS sur Calais, c’est reconnaître les droits des réfugiés à la protection et non à la répression
Avec la convention de Genève en poche, nous sommes censés nous opposer à tout ce qui ne respecte pas cette convention internationale.
La police française courant après des étrangers, ne peut pas être notre police.
L’Etat français donnant des ordres de destruction des affaires par le feu, l’eau, de gazage de nourriture, de coupure du seul point d’eau potable, de rafles avec chiens, de contrôles au faciès, ne peut pas être notre Etat.
Isolement de ma petite personne
L’affrontement avec toutes ces forces et mes soutiens aux réfugiés en lutte, ont poussé le groupe humanitaire, dès le départ de mes activités, à me combattre ou à m’ignorer.
J’ai tenu le choc, malgré 3 diffamations dans les journaux locaux, 6 gardes à vue, 2 mises en cellule de dégrisement, des poursuites de CRS dans la nuit sans sommation, 3 véritables agressions physiques avec dépôt de plaintes et des insultes.
Les activités d’apparence anti policière sont des activités politiques de lutte pour les droits humains. Nous n’avons pas à respecter la haine, même si elle est votée par 42% des inscrits. Si en 2004, il était révoltant de chasser du réfugié, en 2005, 2006, 2007, ces actes policiers sont encore révoltants. La révolte ne s’éteint pas avec la répétition des faits ou des accords sur les conditions humanitaires.
marie noëlle gues