En tant que visiteur dans un nouvel endroit, il est rare d’arriver et de remarquer aussi vite les fractures, dissensions et conflits qui déchirent le tissu social. Pourtant ces signes dans la ville de Jérusalem sont indéniables, et ce malgré les tentatives du gouvernement israélien de maintenir l’illusion d’une normalité occidentale. Les graffitis sur les murs de la vieille ville, l’omniprésence des soldats armés, des postes de contrôle, des détecteurs de métaux et des caméras de sécurité (500 à Jérusalem-Est seulement), les t-shirts "Free Palestine" vendus dans la rue à côté de ceux aux logos de l’"armée israélienne » et « Amérique, ne vous inquiétez pas, Israël est derrière vous", les divisions entre quartiers arabes et juifs dans la vieille ville délimités par des regroupements provocateurs de drapeaux israéliens, et les soldats surveillant les magasins juifs ostensiblement plus chers sont autant de preuves du profond malaise qui règne sur Jerusalem.
Toutefois, ces manifestations superficielles ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils reflètent simplement un conflit autrement plus important concernant l’influence territoriale. Selon un rapport de l’ONU, près d’un-tiers des maisons palestiniennes à Jérusalem-Est ont été construites sans permis. En effet, les palestiniens qui désirent construire une maison ne peuvent demander l’autorisation que sur une zone correspondant à seulement 13% de Jérusalem-Est, et déjà densément peuplée. Le résultat est qu’au moins 28% de toutes les maisons ont été construites illégalement et que sur les 250.000 palestiniens vivant à Jérusalem-Est, 60.000 risquent de voir leurs maisons démolies.
Un des quartiers où l’effet colonisateur est le plus prononcé est Silwan, un quartier arabe de 45.000 personnes sur une colline abrupte, juste au sud de la vieille ville. En rentrant dans ce quartier, on est frappé par la soudaine pénurie de touristes. Les juifs orthodoxes et les touristes, qui grouillaient dans la vieille ville à seulement 50 mètres de là, à proximité de son très sécurisé Mur occidental, ont soudainement disparus. De même que les magasins et les routes bien goudronnées. Du verre et des ordures couvrent les rues, et les terrains vagues remplis de gravats abondent comme regards furtifs à l’égard de notre présence dans une zone sans aucune carte postale à acheter. Même les transports publics sont différents, et alors que les autobus qui fonctionnent ne semblent pas être financés par l’État israélien, il est clair que les 4x4 blindés remplis de soldats et les policiers qui rôdent autour du quartier le sont.
Après avoir atteint le bas de la colline, en regardant derrière soi on peut contempler les nouveaux appartements du chic quartier juif à côté de la mosquée Al-Aqsa sur le Mont du Temple. L’opposition est frappante : on a l’impression de regarder un pays occidental depuis la frontiere d’un pays du tiers monde. Dans une petite épicerie, je demande au propriétaire dans un arabe très approximatif s’il y a un café à proximité. Il me dit qu’il n’y a pas de café, ici, il y a seulement l’Intifada. Je demande pourquoi et il dit qu’il n’y a plus de café dans la quartier depuis deux ans.
Plus tard, je parle à un des dirigeants de l’International Solidarity Movement, qui me dit qu’il n’y a peut-être pas de cafés dans cette partie de Silwan, mais il y en a dans d’autres parties du quartier. Il me dit que 1500 personnes (88 familles) sont actuellement menacées par la démolition de leurs maisons à Silwan. Les résidents ont bien reçus une "proposition" de dédommagement de la part du gouvernement pour les encourager a construire ailleurs, mais uniquement si c’est en dehors de Jérusalem : c’est "Le transfert silencieux". Peu à peu, le quartier se "Judaise" de façon à ce que la vieille ville soit entourée de tous cotés par des quartiers juifs. Comment les palestiniens pourraient-ils revendiquer une capitale à Jérusalem-Est dans ce cas ?
Les signes de cette invasion israélienne sont évidents : les maisons occupées arborent des drapeaux israéliens démesurés et des barreaux protègent leurs portes et fenêtres. Un immeuble au milieu de ce quartier affiche un drapeau israélien descendant tout le long de ses cinq étages, et est visible depuis toute la vallée. J’ai essayé de me renseigner sur ce bâtiment auprès d’un homme dans la rue, et il a détourné les yeux.
Et ce type de provocation par des groupes de colons n’est qu’un début. Le gouvernement a mis en place les panneaux menant à Silwan avec le nom hébreu d’il y a deux milles ans « Ville de David », au lieu de Silwan (même en arabe) et a facilité les activités et la présence des organisations juives d’extrême-droite comme ElAd (l’acronyme de la ville de David, en hébreu) depuis la prise de contrôle de l’état d’Israël sur Jérusalem-Est en 1967. ElAd, à propos de qui Ha’aretz a écrit "avoir favorisé la ’judaïsation’ de Jérusalem-Est", travaille à expulser les résidents arabes de longue date en déclarant leurs foyers et leurs entreprises "propriétés abandonnées". ElAd travaille également à accroître la colonie juive à Silwan, où l’expansion des colonies a augmenté de manière significative depuis 1991, et a signé des accords avec le National Jewish Fund afin de permettre au groupe colon de s’engager dans la construction des colonies, sans passer par le processus judiciaire normal. En 2008, la municipalité de Jérusalem a même commencé le processus d’approbation d’un plan pour un nouveau complexe de logements, y compris une synagogue, en plein coeur de Silwan.
Dans sa « bataille pour le saint bassin », le slogan d’ElAd est de « renforcer le lien du peuple juif avec Jérusalem, et pour la poursuite du retour du peuple juif à visiter et à vivre dans la Ville de David." Depuis avril 2006, Elad a pris plus de 15 appartements dans trois bâtiments différents par des moyens juridiques d’acquisition ou d’invasion violente, y compris l’immeuble de cinq étages avec le grand drapeau israélien au milieu du quartier. Après qu’ElAd a réussi à prendre le point le plus élevé du quartier, et la zone la plus proche de la vieille ville, ils ont construit un centre touristique qu’ils appellent La Cité de David - Jérusalem Wall National Park. Ce centre propose téléviseurs à écran plat avec films en 3D, tours en Segway, et surtout une "promenade passionnante dans les eaux du tunnel d’Hezekiah" dans la "Cité de David : Jérusalem Antique". C’est révélateur de la volonté d’Israël de mettre l’accent sur l’histoire antique de la ville en occultant complètement ces derniers 2000 ans.
En me promenant dans ce centre, j’ai rencontré trois jeunes filles en jeans et t-shirts, assises sur un banc, avec des fusils. Je leur ai demandé pourquoi emmener ces fusils alors que l’armée et la police sont omniprésentes. Elles ont répondu qu’elles accompagnent un groupe de jeunes touristes et que "dans le territoire arabe un garde armé est nécessaire tous le temps". J’ai insisté : "Mais vous n’allez même pas dans le vrai quartier palestinien". Et elles de renchérir : "C’est la règle de protection dans les territoires arabes ... c’est comme pour Massada". J’ai arrêté le harcèlement quand elles m’ont demandé à quel groupe j’appartenais. Mais lorsque le groupe est parti faire les 30 mètres de marche pour visiter le tunnel après avoir payé leurs cinq euros directement dans les caisses d’ElAd, je ne pouvais m’empêcher de penser que l’objectif principal de leur fusil-spectacle-démonstration est d’instiller la peur des arabes chez les groupes d’ados plus qu’autre chose.
La militarisation, l’invasion et l’expropriation à la racine du conflit sont paradoxalement les principaux moyens de répression utilisés par Israel, pour un conflit qui promet de se transmettre aux prochaines générations.

maiky
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