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L’anti-impérialisme des imbéciles
envoyé le 18/04/18 par  Leila Al-Shami Mots-clés  antifascisme   sans frontières   proche et moyen orient  

L’anti-impérialisme des imbéciles

Une fois encore le « mouvement anti-guerre » occidental se réveille afin de se mobiliser autour de la Syrie. C’est la troisième fois depuis 2011. La première mobilisation a eu lieu au moment où Obama envisageait de frapper les capacités militaires du régime (pour ne finalement rien faire) à la suite de l’attaque chimique de la Ghouta en 2013, considérée alors comme un franchissement de ligne rouge. La seconde s’est développée suite à la frappe ordonnée par Donald Trump sur une base militaire vide en réponse à l’attaque chimique de Khan Sheikhoun en 2017. Enfin, une troisième mobilisation émerge aujourd’hui alors que les États-Unis, l’Angleterre et la France mènent des actions militaires de faible envergure (frappes ciblant les équipements d’armes chimiques) suite à l’attaque chimique à Douma responsable au minimum de la mort de 34 personnes dont des enfants cherchant refuge dans les sous-sols.

On remarque tout d’abord que ces trois mobilisations de la gauche occidentale « anti-guerre » n’ont que très peu à voir avec une volonté d’en finir avec la guerre. Plus d’un demi million de Syriens ont été tués depuis 2011. L’immense majorité des victimes civiles provient de l’usage d’armes conventionnelles. 94 % de ces victimes furent tuées par l’alliance Syrie-Iran-Russie Il n’y a pas une once d’indignation ou d’inquiétude feinte à propos de cette guerre elle-même qui a éclaté après la répression par le régime de manifestants pacifiques et pro-démocratie. Aucune indignation lorsque des barils d’explosifs, des bombes chimiques ou du napalm sont envoyés sur des communautés auto-organisées démocratiquement, des hôpitaux et des secouristes. Les civils sont mortels, pas les infrastructures militaires d’un régime fasciste génocidaire. En vérité, le slogan « Pas touche à la Syrie » (Hands off Syria) signifie « Pas touche à Assad » et s’accompagne souvent d’un soutien à l’intervention militaire russe. Cette orientation était flagrante à la manifestation de la coalition Stop the war UK2 du 13 avril 2018 où des drapeaux russes et syriens s’affichaient honteusement.

Cette gauche affiche de profondes tendances autoritaires, notamment en plaçant les États eux-mêmes au centre de l’analyse politique. Peu importe qu’il s’agisse de dictatures, la solidarité s’exprime ainsi en faveur d’États (perçus alors comme les acteurs principaux des luttes de libération) plutôt qu’envers les groupes opprimés et dépourvus de privilèges d’une société donnée. Aveugle à la guerre sociale se jouant au sein de la Syrie elle-même, ce type de vision considère le peuple syrien, quand il est pris en compte, comme un pion négligeable dans une partie d’échec géopolitique. Cette gauche répète ainsi « Assad est le dirigeant légitime d’un pays souverain » comme un mantra. Assad a pourtant hérité du pouvoir par son père et n’a jamais mené ni gagné d’élection libre et équitable. Face à des rebelles et des civils nées en Syrie, son « armée arabe syrienne » n’a pu regagner les territoires perdus qu’avec le soutien d’un ramassis de mercenaires extra-syriens appuyés par des bombes étrangères. Combien parmi les sympathisants de cette gauche là continueraient à considérer comme légitime leur gouvernement élu si celui-ci commençait à mettre en place des campagnes de viols de masse contre ses opposants ? Seule une déshumanisation complète des syriens peut rendre possible une telle position. Considérer les Syriens comme incapables d’obtenir et de mériter mieux qu’une des plus brutales dictatures de notre temps relève clairement du racisme.

Pour cette gauche autoritaire, le soutien à Assad se manifeste au nom de l’anti-impérialisme. Assad est perçu comme appartenant à l’« axe de la résistance » face à l’empire américain et au sionisme. Le fait que son régime ait soutenu la première guerre du Golfe semble ne pas compter, ni le fait qu’il ait participé au programme illégal d’extradition des États-Unis où des terroristes présumés ont été torturés pour le compte de la CIA. Le fait que le régime ait probablement massacré plus de palestiniens que l’État israélien est constamment négligé de même que le fait qu’il préfère user de sa force de frappe pour éliminer l’opposition interne plutôt que pour libérer le Golan occupé par Israël.

Cet « anti-impérialisme » des imbéciles est celui pour qui l’« impérialisme » équivaut uniquement à l’action des États-Unis. Ces derniers bombardent pourtant la Syrie depuis 2014. Lors de la campagne américaine visant à libérer Raqqa de l’emprise de Daesh, toutes les normes internationales de la guerre et les considérations de proportionnalité ont été bafouées. Plus de 1000 civils ont été tués et selon une estimation de l’ONU, 80 % de la ville se trouve maintenant inhabitable. Il n’y a eu aucune protestation organisée par le mouvement « anti-guerre » contre cette intervention, pas d’appels pour s’assurer que les civils et infrastructures civiles seraient protégés. Cet anti-impérialisme là a préféré adopter le discours de la guerre au terrorisme autrefois promu par les néoconservateurs et repris maintenant par le régime qui qualifie de djihadiste et terroriste toute opposition à Assad. Il a fermé les yeux sur le fait qu’Assad envoyait dans ses goulags des milliers de manifestants laïques, pacifiques et pro-démocratie afin de les torturer à mort tandis qu’il sortait les militants islamistes de prison. De même, les manifestations qui se poursuivaient dans les zones libérées contre les groupes extrémistes et autoritaires tels que Daesh, al-Nosra et Ahrar al-Sham ont été ignorées. Les Syriens sont vus comme incapables d’adopter un large éventail de points de vue variés. Activistes de la société civile (dont des femmes incroyables), journalistes citoyens et travailleurs humanitaires sont insignifiants. Toute l’opposition est réduite à ses éléments les plus autoritaires ou perçue comme une émanation d’intérêts étrangers.

Cette gauche pro-fasciste semble aveugle à toute forme d’impérialisme qui ne serait pas d’origine occidentale. Cela relève d’une combinaison de politique de l’identité et d’égoïsme. Tout événement est vu via un prisme occidental – seuls les mâles blancs ont le pouvoir d’écrire l’Histoire. Selon le Pentagone, il y a actuellement 2000 soldats américains en Syrie. Les États-Unis ont installé de nombreuses bases militaires dans les zones sous contrôle kurde du nord de la Syrie pour la première fois dans l’histoire du pays. Cette présence américaine devrait préoccuper quiconque se soucie de l’autodétermination du peuple syrien mais fait pâle figure au regard des dizaines de milliers de soldats iraniens et de milices chiites soutenues par l’Iran qui occupent le reste du pays ou des bombardements meurtriers de l’aviation russe en soutien à la dictature fasciste. La Russie dispose dorénavant de bases permanentes dans le pays et a obtenu un droit exclusif sur les hydrocarbures syriens en échange de son soutien. Noam Chomsky a affirmé qu’on ne pouvait pas qualifier l’intervention russe d’impérialiste dans la mesure où elle répondrait à l’invitation du régime. Selon cette analyse, l’intervention américaine au Vietnam n’était donc pas non plus impérialiste puisque sollicitée par le gouvernement sud-vietnamien.

De nombreuses organisations anti-guerre ont justifié leur silence vis-à-vis des interventions russes et iraniennes en affirmant que « l’ennemi principal est à la maison ». Cela les dispense d’effectuer une analyse sérieuse des rapports de force afin de déterminer les acteurs principaux engagés dans cette guerre. Pour les syriens, l’ennemi principal est effectivement à la maison. Assad mène ce que l’ONU a qualifié de « guerre d’extermination ». Sans avoir conscience de leurs propres contradictions, plusieurs de ces voix anti-impérialistes se sont exprimées à juste titre contre la répression israélienne lors de la marche pacifique à Gaza3. Une des caractéristiques du fonctionnement de l’impérialisme consiste bien sûr à nier les voix indigènes. Dans la même veine, les organisations de la gauche anti-guerre tiennent des conférences sur la Syrie sans inviter d’orateurs syriens.

L’extrême-droite forme l’autre courant politique majeur faisant bloc derrière le régime d’Assad et dénonçant les frappes états-uniennes, britanniques et françaises en Syrie. Aujourd’hui, les discours fascistes et ceux de cette gauche anti-impérialiste sont impossibles à distinguer. Aux États Unis, le suprémaciste blanc Richard Spencer, le podcaster d’extrême-droite Mike Enoch ainsi que la militante anti-immigration Ann Coulter s’opposent tous aux frappes. En Angleterre, l’ancien leader du BNP Nick Griffin et l’islamophobe Katie Hopkins se sont joints à l’appel. L’alt-right et l’alt-left convergent en relayant et en faisant la promotion de diverses théories conspirationnistes visant à absoudre le régime syrien de ses responsabilités. Les militants de ces courants présentent les attaques chimiques comme des opérations sous faux drapeauet les travailleurs humanitaires comme des membres d’Al Qaeda, faisant d’eux des cibles légitimes des attaques.

Ceux qui diffusent de telles informations ne sont pas sur place et s’avèrent incapables de vérifier indépendamment leurs allégations. Ils dépendent en dernière instance souvent de la propagande d’État russe et syrienne parce qu’ils ne « croient pas les médias mainstream » ou les syriens directement concernés. Parfois la convergence entre ces bords apparemment opposés tourne carrément à la collaboration La coalition ANSWER qui a organisé la plupart des manifestations contre les frappes anti-Assad aux États-unis constitue un bon exemple Ces deux courants véhiculent fréquemment un récit antisémite ou islamophobe. Ils partagent les mêmes arguments et la même imagerie.

Il existe de nombreuses raisons valides pour s’opposer à une intervention militaire étrangère en Syrie qu’elle soit américaine, russe ou turque. Ni les États-Unis, la Russie ou la Turquie agissent dans l’intérêt du peuple syrien, de la démocratie et des droits humains. Ils n’opèrent que pour leur propre compte. L’intervention actuelle menée par les États-Unis, l’Angleterre et la France a peu à voir avec une volonté de protéger la population d’atrocités mais plus avec l’imposition de la norme du droit international rendant l’usage des armes chimiques inacceptable, de peur que celles-ci soient un jour utilisées sur les occidentaux eux-mêmes. Plus de bombes étrangères n’amèneront pas la paix et la stabilité. Il y a trop peu de volonté de chasser Assad du pouvoir, ce qui mettrait pourtant un terme à l’essentiel des atrocités. En s’opposant à une intervention étrangère, on se doit de proposer des solutions permettant de protéger la population des massacres. Il est moralement contestable d’attendre des syriens qu’ils meurent en silence afin de protéger les grands principes « anti-impérialistes ». Les nombreuses alternatives à une intervention militaire extérieure qui ont été proposées par les syriens au fil du temps ont été ignorées. La question de ce qui peut être fait persiste quand les solutions diplomatiques ont échoué, quand un régime génocidaire demeure protégé par ses puissants soutiens internationaux, quand aucune avancée n’est faite visant à empêcher les bombardements quotidiens, mettre fin aux sièges de la faim ou libérer des prisonniers torturés à une échelle industrielle.

Je n’ai plus de solution. Je me suis régulièrement opposée à toute intervention étrangère en Syrie, soutenant d’une part l’expulsion du tyran par les Syriens eux-mêmes et d’autre part un processus international visant à protéger civils et droits humains et empêchant l’impunité des coupables de crimes de guerre. Un accord négocié semble être le seul moyen de mettre fin à la guerre. Cette perspective semble plus éloignée que jamais. Assad (et ses soutiens) demeurent déterminés à torpiller tout processus allant dans cette direction et poursuivent l’objectif d’une victoire militaire totale et l’écrasement de toute alternative démocratique restante. Des centaines de civils sont tués chaque semaine par les moyens les plus cruels imaginables. Groupes et idéologies extrémistes prospèrent dans le chaos créé par le régime. Les civils continuent de fuir par milliers, tandis que des dispositions légales – telles que la loi n°10 font qu’ils ne pourront jamais retourner dans leurs maisons. Le système international s’écroule sous le poids de sa propre impuissance. Le slogan « plus jamais ça » est vidé de sa substance. Aucun mouvement populaire ne se dresse en solidarité avec les victimes. Au contraire, celles-ci sont calomniées, leurs souffrances sont raillées ou tout simplement niées, et leurs voix restent absentes des préoccupations de gens au loin qui ignorent tout de la Syrie et prétendent pourtant savoir ce qui est meilleur pour les syriens. C’est cette situation désespérante qui conduit de nombreux syriens à accueillir favorablement les actions des États-Unis, de l’Angleterre ou de la France, voyant les interventions étrangères comme leur seul espoir tout en connaissant leurs risques.

Une chose est certaine, les frappes visant les infrastructures militaires et les centres de productions d’arme chimiques susceptibles d’offrir quelque répit aux syriens face à la mort quotidienne ne m’empêcheront pas de dormir. Et il ne sera plus jamais possible de considérer des gens qui préfèrent les grands discours aux réalités vécues, défendent des régimes brutaux dans des pays lointains, véhiculent racisme, théories du complot et négation d’atrocités comme des alliés.

Leila Al-Shami est une militante syrienne-britannique pour les droits de l’homme et la justice sociale en Syrie et dans le Moyen-Orient. Elle est une membre fondatrice de Tharir-ICN un réseau connectant les luttes anti-autoritaires à travers le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Europe. Elle est l’auteur avec Robin Yassin-Kassab de Burning country : Syria in revolution and war, Pluto Books, 2016.

http://solitudesintangibles.fr/lanti-imperialisme-des-imbeciles-leila-al-shami/


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