Natacha Polony, Eric Zemmour, Jacques Julliard, Brice Couturier, Elisabeth Lévy, Franz-Olivier Giesbert, Valérie Toranian, Arnaud Leparmentier, Jean Quatremer, mais aussi le dessinateur Plantu : tels sont les nouveaux héros du livre de Sébastien Fontenelle, Mona Chollet, Olivier Cyran et Laurence De Cock, Les éditocrates 2. Le cauchemar continue, qui parait aujourd’hui aux éditions La Découverte. Parce que, plus que jamais, il nous parait utile, et même vital, de rire des cuistres et de mettre à nu les fabricants de consensus réactionnaire, sécuritaire et raciste, nous ne pouvons qu’en recommander la lecture. En voici déjà l’introduction.
On proposait, dans un précédent ouvrage [1], paru en 2009 et dont le présent volume est une lointaine suite (et fin), une première galerie de portraits d’éditocrates fameux : Alexandre Adler, Jacques Attali, Christophe Barbier, Alain Duhamel, Laurent Joffrin, Bernard-Henri Lévy, Ivan Rioufol et Philippe Val.
Neuf ans plus tard, certains de ces importants personnages ont un peu perdu en visibilité.
Alain Duhamel, par exemple, n’intervient plus si souvent – ni avec tant d’ubiquité – dans le débat public qu’aux folles décennies de son apogée : il se trouve encore, dans les réseaux sociaux, une poignée d’internautes pour s’égayer lorsqu’il se demande, confit dans la flagornerie, si le président Macron est « courageux, intrépide ou téméraire », mais on devine que c’est surtout l’attendrissement qui motive ces rieurs.
De la même façon, la parole de Laurent Joffrin n’est plus si cotée qu’aux époques où ses harangues reaganiennes lui ouvraient cent micros. Fidèle à sa manière, il fait toujours des va-et-vient entre Le Nouvel Observateur – rebaptisé L’Obs en 2014 – et le quotidien Libération, qu’il dirige encore quand ces lignes sont écrites. Mais à mesure que les ans passaient, il a été repoussé assez loin des studios – et autres plateaux – où il grommelait naguère : « Le problème, c’est les trotskistes. »
En 2011, vers Benghazi (Cyrénaïque) : Bernard-Henri Lévy, après avoir longtemps suggéré qu’il était un maître stratège, a finalement, sous Sarkozy, eu « sa » guerre – « sans l’aimer », devait-il préciser après l’avoir tant espérée. Mais ce triomphe n’a guère duré. Car, assez rapidement, l’évidence que cette expédition libyenne allait rester comme l’un des pires – et plus sanglants – fiascos de l’histoire du devoir d’ingérence a cantonné le philosophe dans un ridicule d’où ses plus récents appels à guerroyer au Kurdistan ne rencontrent plus guère d’écho qu’auprès de quelques piteux comparses : la presse et les médias s’en désintéressent, de vrai, si ostensiblement, que c’en devient presque gênant.
D’autres, cependant, ont mieux surmonté l’usure de la décennie écoulée : encore et toujours, Ivan Rioufol lance des appels exaltés à la droitisation de la droite dite républicaine, et vitupère contre la gauche « pestilentielle », cependant que Christophe Barbier continue de psalmodier qu’« un chômeur doit être peu indemnisé », que « les Français doivent renoncer à leur cinquième semaine de congés payés » et que « les retraités sont des enfants gâtés » qui désormais « doivent payer ».
Et nul ne connaît, au juste, le montant des émoluments que leur vaut la scansion de ces insanités, car les éditocrates, si généreux de leurs exhortations à diminuer les aides sociales quand elles vont aux nécessiteux, se montrent beaucoup plus taiseux sur le sujet de leurs salaires. Mais on sait du moins que l’État les gave d’aides publiques à la presse dont l’utilisation n’est que peu contrôlée, et que ces grands producteurs d’appels à mieux surveiller l’usage que font les pauvres de leurs allocations ne se plaignent aucunement de ce ruineux laxisme.
On sait ainsi qu’à l’époque où ledit Christophe Barbier dirigeait l’hebdomadaire L’Express, cette publication a de cette manière été nantie – ce total inclut seulement les sommes ren- dues publiques, et ne dit donc pas le montant exact de cette manne – de plus de 35 millions d’euros. Et qu’elle a, dans le même laps de temps, enregistré un déficit cumulé de 86 mil- lions d’euros – sous la direction donc, il faut y insister, de l’exigeant M. Barbier : sans doute est-ce cette remarquable per- formance qui lui fait dispenser tous les quatre matins d’âpres leçons d’économie(s).
L’éditocratie, en neuf ans, ne s’est que peu renouvelée. La plupart des excellences – d’âge parfois quasi canonique, mais cramponnées au bastingage – portraiturées dans ce volume y exercent leur magistère depuis de longues décennies : elles auraient tout aussi bien pu figurer dans le tome précédent.
Leurs us et leurs coutumes sont restés presque inchangés : aujourd’hui comme hier, les éditocrates ont des avis sur tout, et l’obsession de les faire partager au plus grand nombre. Aujourd’hui comme hier, ils fabriquent du consentement : par l’incessante répétition des mêmes vraies-fausses évidences, ils contraignent leurs publics – ou peut-être sont-ce des clientèles – dans l’acquiescement aux « réformes » antisociales dont ils assurent, très fidèlement, le service après-vente.
Aujourd’hui comme hier, ils parlent d’une même et seule voix, pour dire tous (presque) la même chose – car aujourd’hui comme hier, qu’ils prétendent contre toute évidence être tou- jours de gauche ou qu’ils assument qu’ils sont de droite, ils tombent, en vérité, d’accord sur (presque) tout, et communient (presque) tous dans les mêmes fustigations haineuses et mensongères de tout ce qui va trop contre les lois de la concurrence libre et non faussée.
De répons en répons, ces « pros du commentaire » [2] ne se différencient plus guère, en de telles matières, que par d’éventuelles surenchères dans la scélératesse : quand l’un agglomère par exemple « la CGT et Daech », ou quand un autre passe, dans une même proposition, de Jean-Luc Mélenchon à l’« Allemagne nazie ».
Et toujours – cela non plus n’a pas changé : ces sentinelles du conformisme le plus étroit s’érigent, par un constant renversement de la réalité, en briseurs de « tabous » imaginaires, en pourfendeurs d’une « pensée unique » fantasmatique. Au risque, parfois, de la loufoquerie, lorsqu’un préposé depuis quarante années à la circulation des appréciations autorisées se pose en victime des « agents de police du camp du Bien », ou d’une plus franche extravagance, quand un imprécateur omniprésent dans la presse et les médias s’autoportraiture en dissident persécuté.
La corporation s’est un peu féminisée, mais cela – qui n’empêche nullement certains de ses plus illustres représentants de se vautrer dans le sexisme ordurier – s’est fait sous des conditions particulières : on verra dans ces pages que les trois femmes nouvellement admises dans le cercle très masculin – et tout uniment blanc – des forgerons de l’opinion ont de commun qu’elles sont très droitistes, et que leurs points de vue s’accordent donc parfaitement au nouvel esprit du temps.
Tout de même : en presque dix ans, quelque chose a vraiment changé dans ce tout petit monde.
Au début des années 2000, la propagande néolibérale des éditocrates se mélangeait déjà de chauvinisme sécuritaire, et de xénophobie : déjà, ils œuvraient ainsi à la « lepénisation des esprits » [3] – il n’était pas encore question, alors, de « dédiabolisation » du Front national. Mais ils donnaient du moins l’impression, éventuellement trompeuse, de se tenir encore en deçà de quelques limites. De s’astreindre, malgré tout, à quelques circonspections.
Aujourd’hui, ces retenues n’ont plus cours. Les chapitres qui suivent le démontrent – et c’est sans doute leur enseignement le plus troublant : s’ils se sont, à l’évidence, plus largement radicalisés, et rencognés dans des positions toujours plus conservatrices – ou réactionnaires –, c’est la stigmatisation de l’islam qui unifie et uniformise vraiment la plupart des éditocrates. C’est dans la confection d’une anxiété antimusulmane permanente qu’ils communient le plus complètement.
On trouvera, ci-après, les portraits de dix de ces éminences. En 2009, on accordait encore à l’éditocratie – sans doute était-ce trop indulgent – qu’elle était folklorique : cette nouvelle galerie, où chacun – fors ceux qui restent strictement cantonnés dans l’enclos d’où montent leurs braiements thatchériens – s’emploie régulièrement à exiger de la religion mahométane des preuves qu’elle serait « tolérante » ou à déplorer qu’elle « avance ses pions », est, au mieux, inquiétante.
Car il n’est plus seulement question, lorsque les « arbitres du débat public » [4] ajoutent l’anathémisation d’une minorité à leurs fustigations – toujours plus véhémentes – des luttes sociales, de contenir l’opinion dans son consentement à un ordre injuste : il s’agit, bien plus dangereusement, de la gagner au pire.
p.-s.
Le livre de Sébastien Fontenelle, Mona Chollet, Olivier Cyran, Laurence De Cock, Les éditocrates 2. Le cauchemar continue, est paru le 5 avril 2018 aux éditions La découverte.
notes
[1] Olivier Cyran, Sébastien Fontanelle, Mathias Reymond, Mona Chollet, Les éditocrates, Editions La Découverte, 2009
[2] « Les pros du commentaire », Médiacritique(s), n° 25, octobre 2017.
[3] Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, http://lmsi.net/La-lepenisation-des-esprits">« La lepénisation des esprits », lmsi.net, 24 avril 2017.
[4] Ibid.
http://lmsi.net/Le-cauchemar-continue
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