Tract distribué le 22 mai à Lille
Les cheminot.tes mènent une grève perlée depuis deux mois. Contre la sélection, des facs ont été bloquées, des exams annulés. Des grèves éclatent à la Poste, dans l’éducation, chez Air France, dans les hôpitaux, chez les éboueurs, dans plusieurs boites privées de différents secteurs. Même les plus précaires s’organisent, luttent et parfois gagnent, comme les intérimaires du nettoyage de chez Onet. La ZAD de Notre-Dame-Des-Landes tente de continuer à exister contre la répression et la normalisation de la vie qui s’y mène. Bref, il s’en passe des luttes en ce moment. Et dans tout ça, qu’est-ce qu’on fout là ?
Les leaders politiques n’ont que la formule de "convergence des luttes" dans la bouche. Mais une convergence de qui ? Vers quoi ? S’agit-il de lutter contre le capitalisme qui nous opprime tou.tes ou de se ranger derrière les leaders syndicaux et grossir leurs rangs ? À qui profite notre participation à une manifestation ? Cela dépend assurément de ce qu’on y fait et de ce qu’on espère et attend de celle-ci.
Pour les directions syndicales, la masse des manifestant.es leur donne du poids comme interlocuteur du pouvoir, confisquant ainsi nos aspirations au profit de leurs revendications blafardes. Pour les bureaucrates, l’organisation passe avant tout : la liberté est toujours pour demain et la volonté de maintenir leur pouvoir justifie la répression de tout dépassement du cadre qu’ils ont négocié avec l’État. L’échec évident des stratégies négociatrices leur est préférable au risque de voir leur rôle d’interlocuteur annihilé : peu importe que leur action soit vouée à l’échec, il s’agit de garder la face coûte que coûte. Les petits chefs des centrales syndicales fixent le rythme, imposent le parcours. Et lorsqu’une partie des manifestant.es sort des clous qu’ils ont planté, ils n’hésitent pas à scinder les cortèges.
Lorsque les dirigeants syndicaux et politiques s’insurgent pour quelques vitrines cassées, ils oublient que c’est notre puissance qu’ils capitalisent pour négocier. Mais derrière leur jérémiades, on peut entrevoir leur peur que, débarrassé.es de leur rôle parasitaire, nous attaquions sans attendre le pouvoir qui a fait d’eux un interlocuteur raisonnable. Il est temps de prendre en compte qu’une des principales forces répressives de ce printemps est à chercher du côté des bureaucraties syndicales.
Mais alors, pourquoi sommes-nous dans la rue ? Parce que la solidarité de classe a encore un sens pour nous et qu’on soit cheminot.te syndiqué.e, étudiant.e, intérimaire ou chomeur.e, le capitalisme nous opprime tou.tes. Parce qu’occuper la rue permet d’y rendre visible nos aspirations. Parce qu’une journée de grève, c’est toujours une journée de turbin en moins. Être ensemble dans la rue nous rend puissant.es. Et chambouler le quotidien, bousculer le confort marchand permet de subvertir la routine du monde qui nous endort.
Lille, le 22 mai 2018
1909 : l’État espagnol assassine le pédagogue libertaire Francisco Ferrer. Partout dans le monde, des grèves éclatent et des manifestations massives se dirigent vers les consulats espagnols : il faut venger Ferrer. La nuit du 13 octobre à Paris, 20 000 personnes s’affrontent à la police et tirent sur le préfet défendant l’ambassade. Alors que la presse s’en prend aux "apaches" comme aujourd’hui elle s’époumone contre la figure du "black bloc", le Parti Socialiste négocie dès le lendemain la première manifestation française déclarée auprès de la préfecture. Prendre la rue était jusqu’alors synonyme d’affrontement systématique avec la police. Mais cette fois, ce sont les députés et "hommes de confiance" du Parti qui encadrent la foule à qui il a été donné consigne d’éviter tout slogan hostile aux gouvernements français et espagnol. Moquée par les journaux réactionnaires, cette innovation politique a élargi le pouvoir répressif jusqu’à l’intérieur même de la manifestation transformée en parade. Reconnaître nos ennemis, sentir notre pouvoir et sortir du cadre s’imposent depuis à toutes celles et tous ceux decidé.es à ne pas se satisfaire des miettes. (cf. Alternative libertaire n°186, été 2009)
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