La France va-t-elle s’aligner sur l’Allemagne dans la criminalisation de l’antisionisme ?
Le Monde Diplomatique du mois de juin revient sur deux événements récents concernant la Palestine :
le vote par le Parlement fédéral allemand, le 17 mai dernier, d’une résolution (non contraignante) assimilant à un mouvement antisémite la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS)
la campagne par laquelle « les médias britanniques tentent de détruire Jeremy Corbin », leader du parti travailliste, accusé de toutes sortes de tares mais par-dessus tout d’être antisémite.
Le mensuel publie la sévère réplique que le vote d’une résolution anti-BDS au parlement allemand a inspiré au chroniqueur israélien Gideon Levy, dans le quotidien Haaretz qu’on peut trouver ici :
[…] "A partir de maintenant, l’Allemagne considèrera chaque partisan de la campagne BDS comme antisémite ; dire “L’occupation israélienne” équivaudra à dire “Heil Hitler.” Dorénavant, l’Allemagne ne peut se vanter de sa liberté d’expression. Elle est devenue un agent du colonialisme Israélien. Même si certains sont antisémites, les partisans de la campagne BDS sont en majorité des personnes de conscience qui croient qu’un État d’apartheid mérite d’être boycotté. Qu’y a-t-il d’antisémite là dedans ? La majorité des partis au Bundestag, dont celui de la Chancelière Angela Merkel, la conscience de l’Europe, a soutenu la résolution. Quelle tristesse. Aussi paralysants sont les sentiments de culpabilité, aussi efficace est la propagande.
Merkel pense-t-elle que Daniel Barenboim – directeur musical de l’Opéra d’Etat de Berlin et chef principal de son orchestre, " Staatskapelle", exemple parfait d’un artiste engagé épris de conscience et de morale, un Juif fier mais un Israélien gêné, co-fondateur du "West-Eastern Divan Orchestra", patriote israélien, oui patriote, qui craint avec chaque fibre de son être pour l’avenir du pays de sa jeunesse – est également antisémite ? Barenboim peut ne pas soutenir explicitement la campagne BDS, mais pendant des années, il a tranquillement boycotté les salles de concert d’Israël. Il ne peut pas jouer pour les Israéliens quand, à moins d’une heure de route de l’auditorium, une nation gémit sous l’occupation. C’est sa noble façon d’exprimer sa protestation. Merkel est son amie. Elle admire sans doute son sens de la justice. Que va-t-elle lui dire maintenant ? […]
Après avoir tenté, en février, de faire adopter par l’Assemblée nationale une loi sanctionnant l’antisionisme, projet désavoué par le président de la République lui-même, Sylvain Maillard, président du groupe d’études sur l’antisémitisme, essaie maintenant de faire voter à ses collègues une résolution.
Prévu le 29 mai, le débat a été reporté. Raison de plus pour faire entendre nos voix sur les arrière-pensées de ceux qui veulent utiliser la « définition de l’antisémitisme par l’International Holocauste Remembrance Alliance » pour faire taire toute critique de la politique israélienne, à l’heure où celle-ci connaît une radicalisation sans précédent : loi constitutionnelle d’apartheid, cap sur l’annexion de la Cisjordanie, législations liberticides, alliances avec les leaders populistes - et souvent antisémites - européens.
« Le 6 décembre 2018, le conseil Justice et affaires intérieures de l’Union européenne (UE) adoptait, sans débat, une déclaration sur la lutte contre l’antisémitisme et la protection des communautés juives en Europe. Louable intention, sauf que… l’article 2 de cette déclaration invite les États membres à adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Pendant la présidence autrichienne de l’UE, de juillet à décembre 2018, Israël et le puissant lobby pro-israélien se sont activés dans le plus grand secret et n’ont ménagé aucun effort pour obtenir ce résultat. Quelle est donc cette « définition IHRA » qu’Israël et ses soutiens inconditionnels veulent imposer ? »
Le 6 décembre 2018, le conseil Justice et affaires intérieures de l’Union européenne (UE) adoptait, sans débat, une déclaration sur la lutte contre l’antisémitisme et la protection des communautés juives en Europe. Louable intention, sauf que… l’article 2 de cette déclaration invite les États membres à adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Pendant la présidence autrichienne de l’UE, de juillet à décembre 2018, Israël et le puissant lobby pro-israélien se sont activés dans le plus grand secret et n’ont ménagé aucun effort pour obtenir ce résultat. »
Quelle est donc cette « définition IHRA » qu’Israël et ses soutiens inconditionnels veulent imposer ?
https://orientxxi.info/magazine/comment-israel-manipule-la-lutte-contre-l-antisemitisme,2892
Voir aussi le blog de Dominique Vidal :
« Étrange amalgame, qui confond dans une même réprobation un délit puni par la loi, l’antisémitisme, et une opinion, en l’occurrence la critique de la pensée de Théodore Herzl, selon lequel les juifs ne peuvent pas s’intégrer dans les sociétés où ils vivent et doivent donc disposer d’un État à eux en Palestine, alors peuplée de 95% d’Arabes.
Qu’importe à Francis Kalifat : le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) s’engouffre dans la brèche ouverte par le président et exige l’adoption d’une loi sanctionnant l’antisionisme.
Malgré ses efforts, le projet n’avance pas durant un an et demi. La plupart des institutions concernées rechignent à mettre ne serait-ce qu’un doigt dans l’engrenage du délit d’opinion. En dernière instance, le Conseil constitutionnel retoquerait selon toute vraisemblance une tentative aussi liberticide.
Et voilà qu’en février 2019, une série de faits antijuifs symboliques frappent la région parisienne. Un tag « Juden » est peint sur la vitrine d’une boutique de bagels. Des croix gammées sont tracées sur les portraits peints de Simone Veil. Le mémorial d’Ilan Halimi est vandalisé. Des voyous insultent Alain Finkielkraut. Et on retrouve des tombes juives profanées dans un cimetière alsacien. Pour le CRIF, la mobilisation républicaine contre ces actes, d’ailleurs typiques de l’extrême droite plus que des jeunes Beurs, est aussi l’occasion de relancer la bataille pour l’adoption d’une loi interdisant l’antisioniste.
En vain. Pourquoi le président de la République recule-t-il finalement sur le projet de loi ? D’abord parce que tous les juristes s’y opposent. Ensuite parce que nombre de politiques la refusent publiquement, y compris des proches du président comme Richard Ferrand ou des ministres comme Jean-Michel Blanquer et Nicole Belloubey. Enfin parce que, dans un sondage de l’IFOP, 69 % des Français disent avoir une « mauvaise image du sionisme ». Bref, Emmanuel Macron finit par lâcher : « Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une solution. »
Impossible, cependant, de ne pas offrir au CRIF un lot de consolation. D’où le repli présidentiel sur la « définition » de l’antisémitisme par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA).
Adopté le 26 mai 2016 à Budapest, ce texte présente l’antisémitisme comme « une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer comme de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques d’antisémitisme visent des individus juifs ou non juifs ou/et leurs biens, des institutions et des lieux de culte juifs ». Voilà qui mériterait au moins un prix Nobel !
À cette définition indigente s’ajoute une série d’« exemples », présentés comme des « illustrations » sans valeur juridique. L’un d’entre eux est particulièrement tordu : « L’antisémitisme peut se manifester par des attaques à l’encontre de l’État d’Israël lorsqu’il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l’antisémitisme. »
Que signifie « comme on critiquerait tout autre État » ? Faudra-t-il reprocher au Lichtenstein d’occuper un territoire ou à Andorre d’en coloniser un autre pour pouvoir accuser Israël d’occuper et de coloniser Jérusalem-Est et la Cisjordanie ? Quel autre État qu’Israël occupe depuis cinquante-deux ans des territoires conquis par la force, où il a installé plus de 700 000 colons et impose un système d’apartheid ?
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), désignée par la loi depuis 1990 comme rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, a tranché. Dans son rapport 2017, elle exprime clairement son opposition à la transposition en France de la définition « IHRA » de l’antisémitisme. Dans son rapport 2018 publié le 23 avril 2019 , elle réitère cette position tout en rappelant « l’importance d’approfondir les études pour comprendre le racisme », après avoir jugé les données du ministère de l’Intérieur trop partielles pour atteindre cet objectif.
Faut-il enfin le souligner ? Ni la définition ni les exemples ne mentionnent l’antisionisme. Frédéric Potier, le préfet qui dirige la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), en convient : « L’apport de cette définition est qu’elle parle de la haine d’Israël en tant que collectivité, même si le mot d’“antisionisme” ne figure pas en tant que tel. Elle permettra cependant de qualifier d’antisémite une partie des propos antisionistes. Quand sur une pancarte est inscrit “Mort aux sionistes”, ça veut dans les faits dire “Mort aux Juifs”. »
S’il s’agissait seulement de condamner les harangues des antisémites camouflés en antisionistes, à quoi bon tout ce branle-bas ? En janvier 2019, Alain Soral a été condamné à un an de prison ferme en vertu des lois… existantes. Reste d’ailleurs à savoir s’il exécutera cette peine, dont des juges, toujours courageux… ou complaisants, prétendent l’exonérer. Visiblement, les inconditionnels d’Israël attendent bien plus de l’officialisation de la « définition de l’IHRA ». Bien qu’« illustratifs », les « exemples » leur serviront à harceler quiconque critique la politique de Tel-Aviv, a fortiori le boycotte. On oubliera vite le véritable contenu de la définition de l’IHRA pour transformer celle-ci en instrument de propagande, voire de répression.
D’où la nouvelle tentative de Sylvain Maillard : à défaut de loi, faire voter une résolution purement déclarative, sans aucune valeur juridique, mais qui officialise… la définition de l’IHRA. » […]
https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/blog/020619/colin-maillard-lassemblee
A lire aussi :
Antisionisme, antisémitisme et idéologie coloniale
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/antisionisme-antisemitisme-et-ideologie-coloniale,2921
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