paru dans CQFD n°54 (mars 2008)
mis en ligne le 13/06/2020
C’est avec une profonde tristesse qu’on vient d’apprendre le décès de Maurice Rajsfus (1928-13 juin 2020) à un moment où sa parole aurait été plus précieuse que jamais. Car Maurice a documenté les abus policiers toute sa vie durant à travers une cinquantaine de bouquins dont un tiers consacré à la police française. Rescapé de la rafle du Vel’ d’Hiv’, « décoré de l’étoile jaune par la police française », comme il le rappelait lui-même, il nous livrait ses souvenirs et ses réflexions dans cet entretien de mars 2008. Maurice Rajsfus était resté un espiègle jeune homme.
[...]
Aujourd’hui, peut-on imaginer un monde sans police ?
Je crois que la question est mal posée. Il y a quelques années, on m’avait invité pour parler du pouvoir de la police dans une loge du Grand Orient de France, lors d’une « tenue blanche », séance où ils invitent quelqu’un d’extérieur. Je n’avais pas terminé mon exposé que je provoquais déjà des hurlements indignés dans la salle : « Est-ce que vous croyez que l’on peut se passer de police ? » J’ai répondu que ça, c’était l’utopie ultime. Je crois pour ma part qu’il faut commencer par des utopies moyennes, il faut d’abord leur rogner les ongles. Il faudrait que policier ne soit plus un métier mais une fonction. Par exemple, au bout de quatre ou cinq ans, on changerait de poste dans la fonction publique, afin de ne pas prendre de mauvaises habitudes, que l’esprit de corps ne s’installe pas. Quand Pierre Joxe est redevenu ministre de l’Intérieur en 1988, il a proposé de désarmer la police. Il a dû faire volte-face tellement ça a hurlé. Aujourd’hui on n’arrête pas de l’enfler, de la surarmer… Leur comportement est devenu invraisemblable. Ce sont des fonctionnaires qui ont un maximum de pouvoir et qui s’arrogent même ceux qu’ils n’ont pas. Ils traitent le « citoyen », pour employer un mot à la mode, comme de la merde. Si tu leur réponds, il y a outrage. Si tu résistes, il y a rébellion. Si tu prends la foule à témoin, il y a incitation à l’émeute.
Une fois, j’avais animé un débat en banlieue, aux Lilas. Il y avait là un certain Mohamed Douhane, porte-parole du syndicat Synergie officiers, et je m’étonnais – c’est mon côté romantique – qu’un fils d’immigré algérien serve un État qui a opprimé ses parents. Réponse indignée : « Je ne suis pas le beur de service, je suis un policier républicain. » Je lui ai dit que dans mon enfance, dans ma famille de Juifs polonais qui avait connu les pogroms, il était impensable qu’un des nôtres puisse devenir flic.
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