Samedi 30 janvier 2021 vers 11h s’est déroulée une dite « autoréduction » dans un Carrefour Market du 13e arrondissement de Paris, que certains de ses promoteurs n’ont pas hésité à mettre en scène sur les réseaux sociaux, comme le veut l’air d’un temps où n’existerait plus que ce qui relève du spectacle. D’autres participants ont de leur côté préféré prendre langue directement avec un journaflic de l’AFP appelé sur place, pour souligner le caractère inoffensif d’ « une action absolument non violente », tout en déplorant que « l’État ne fait rien pour les personnes précaires ».
Selon les propres termes du tract distribué aux clients du supermarché, il s’agissait d’exiger qu’une prime effective de 1000 euros soit versée « à toutes et tous les salarié.e.s de la grande distribution sans distinction » (vigiles inclus ?), en tant que « professionnel.les en première ligne pendant la crise sanitaire » (et bien le bonjour aux improductifs des dernières lignes). D’autre part, un peu moins hypocritement, il annonçait qu’il s’agissait d’une « action solidaire » visant à « réquisitionner des produits alimentaires et hygiéniques de première nécessité pour en faire bénéficier celles et ceux qui subissent le plus les conséquences de cette crise », mélangeant ainsi allègrement les notions d’assistance, d’entr’aide ou de soutien avec celle de solidarité. Mais nous sommes certainement trop naïfs de continuer à penser, comme au 20e siècle, que la solidarité c’est l’attaque, le soutien matériel du soutien matériel, l’entr’aide une forme de réciprocité, et l’humanitaire (y compris militant) une forme de charité laïque qui entretient dépendance et misère tout en cautionnant ses causes.
Plus précisément encore, les assistantes sociales de choc ont tenu à préciser dans leur compte-rendu triomphaliste (Paris-luttes, 3 février 2021) : « Après une heure et demie de blocage et de négociation, nous sommes parti.es avec l’accord de la direction et le contenu de tous les caddies remplis. Concernant les pourparlers, ils ont essentiellement porté sur la nature et la qualité des produits…. Nous redistribuerons les marchandises cédées gracieusement aux collectifs dans lesquels nous militons, pour les publics les plus touchés par la crise (exilés, précaires, mères isolées, familles en galère…) ». Et pour « des étudiants », complétera l’interviewée à l’AFP.
Puisqu’il a semblé primordial aux nobles autoréducteurs d’insister sur le fait que cette opération avait été méticuleusement et pacifiquement dealée avec une direction par ailleurs traitée d’assassine et de raciste* –eh, ils ne sont pas comme ces vulgaires voleurs qui se passent d’accord pour exproprier aux magasins ce qui leur chante, ni de ceux qui refusent par principe de dialoguer avec les autorités, a fortiori celles d’une boîte assassine et raciste–, et sans même parler du fait que les bons pauvres devraient se contenter de « premières nécessités » dûment triées par les limitants et les proprios, on s’est rappelé d’un petit texte critique paru il y a une dizaine d’années. Nous le reproduisons ci-dessous, peut-être évoquera-t-il des souvenirs à certains.
Quant aux autres, peut-être ébahis par un objectif affiché aussi paternaliste que misérabiliste visant à « redistribuer » des produits surtout pas trop de luxe à des « publics touchés par la crise » (ou quand la novlangue militante se calque sur celle du pouvoir), ce sera l’occasion de le découvrir. Loin d’un monde où selon la conclusion même du compte-rendu, la question est de « bloquer » l’économie plutôt que la détruire, où on n’incite plus à squatter les logements mais à les « réquisitionner », et où tous les galériens ne sont plus encouragés à s’emparer directement eux-mêmes de la précieuse marchandise, seuls ou en petits groupes, mais à la recevoir « autoréduite » grâce à de fructueux pourparlers d’ « urgence » menés entre boutiquiers des deux côtés de la barricade.
De mauvais pauvres,
4 février 2021
* « Carrefour, assassin ! Carrefour, raciste ! » disait notamment le tract distribué, en référence à João Alberto Silveira Freitas (et non pas « Joao Batista » comme il est écrit dans le compte-rendu de l’action, lui c’est son père), tabassé à mort en novembre dernier à Porto Alegre par des vigiles de Carrefour. Avant d’ajouter sans autres détails, pourtant passionnants : « En réponse, de nombreux magasins Carrefour ont été attaqués »… De notre côté de l’Atlantique, il vaut apparemment mieux rester dans le flou en évitant de préciser que plusieurs Carrefour y ont alors été littéralement saccagés et pillés de façon autonome, débordant les charitables négociateurs qui tentaient de faire médiation. Mais ça aurait sans doute fait tâche…
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