L’air fétide du radicalisme rigide
Le capitalisme, le colonialisme et l’hétéropatriarcat nous rendent malades. Nos réponses nous guérissent-elles ? Nos actions favorisent-elles le bien-être des autres ? Ou sommes nous, de manière inconsciente, en train de reproduire le type de relations qui nous ont à l’origine rendu·es malades ?
(Zainab Amadahy, Wielding the Force)
Le puritanisme, quelle que soit la forme qu’il prenne, est un germe empoisonné. Si en surface tout peut sembler fort et vigoureux, le poison continue néanmoins à s’infiltrer jusqu’à ce que la chair entière soit contaminée.
(Emma Goldman, L’hypocrisie du puritanisme)
Il y a environ un siècle, la célèbre anarchiste Emma Goldman était à une fête, quand un jeune homme la prit à part. « L’air grave comme s’il s’apprêtait à annoncer la mort d’un proche camarade », l’homme lui dit « qu’il ne seyait pas à une agitatrice de danser »(1). Selon lui, cela donnait une mauvaise image du mouvement révolutionnaire. Goldman était bourrée, et lui répondit en gros d’aller se faire voir. On dit de cette rencontre qu’elle est à l’origine de la phrase bien connue de défense de la joie et du jeu, souvent attribuée à Emma Goldman : « Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution ». Mais il ne s’agissait pas seulement de danse. Pour Goldman, le conformisme et le contrôle de soi étaient inhérents aux mouvements radicaux eux-mêmes, et les militant·es étaient supposé·es faire passer « la Cause » avant leurs propres désirs.
Un siècle plus tard, si les règles ont peut-être changé, quelque chose continue de traverser de nombreux espaces politiques, mouvements et milieux, en sapant leur puissance de l’intérieur. Ce quelque chose, c’est l’appréhension vigilante des erreurs chez soi et chez les autres, le triste confort de pouvoir ranger les événements qui surgissent dans des catégories toutes faites, le plaisir de se sentir plus radical·e que les autres et la peur de ne pas l’être assez, les postures anxieuses sur les réseaux sociaux, avec les hauts des nombreux « likes » et les bas de se sentir ignoré·e, la suspicion et le ressentiment en la présence de quelque chose de nouveau, la façon dont la curiosité fait se sentir naïf·ve et la condescendance fait se sentir juste. Nous pouvons le sentir apparaître à certains moments, quand nous sentons le besoin de nous comporter d’une certaine manière, de haïr les choses qu’il faut haïr, et d’avoir les bons gestes. Nous nous sommes déjà retrouvé·es des deux cotés des tendances puritaines de ce « quelque-chose », comme pur·es et comme corrompu·es. Mais surtout, ce « quelque-chose » est une hostilité à la différence, à la curiosité, à l’ouverture et à l’expérimentation.(...)
(1). Emma Goldman, Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, Paris, L’Échappée, 2018, p. 83.
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