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Raison de la mise en attente :
Le PIR : les Pompiers Inattendus de la République

Le PIR : les Pompiers Inattendus de la République

La longue marche du PIR dans les institutions

Même si le PIR est insignifiant dans les « quartiers », son travail idéologique sophistiqué de construction d’un nouveau grand récit correspond à la situation qui y prédomine maintenant, comme représentation de celle-ci : « Depuis le milieu des années 1970, nous pouvons distinguer trois configurations successives, trois âges de la banlieue : un monde désorganisé mais encore proche ; des territoires requalifiés par les trafics et violences urbaines ; un univers marqué par la fermeture et la sécession (souligné par nous). » (Michel Kokoreff et Didier Lapeyronnie, Refaire la cité, l’avenir des banlieues, éd. Le Seuil, p. 17).

A la suite des émeutes de 2005, ce qui n’est encore que le MIR (Mouvement des Indigènes de la République) publie une déclaration dont nous donnons un extrait : « Les jeunes des quartiers expriment leur révolte de manière spectaculaire et disent : "Nous n’avons pas d’autre moyen de nous faire entendre". Face à une violence sociale et institutionnelle insupportable, leur révolte est plus que légitime : elle est salutaire. Elle constitue une réaction politique. (…) Ce qu’exige la jeunesse des cités, c’est d’être reconnue dans sa dignité, c’est de pouvoir vivre dans l’égalité et le respect. Il s’agit d’une exigence politique et sociale élevée, juste dans son principe, et à laquelle il est nécessaire Le langage de l’identité et de la citoyenneté de répondre politiquement. (…) Nous exigeons la mise en place d’une politique résolue de lutte contre les discriminations dans tous les domaines et des mesures immédiates contre la précarité, le chômage, et la ghettoïsation : la création d’emplois stables et valorisants, tant publics que privés … » (Non au couvre-feu colonial – novembre 2005 – , in Houria Bouteldja et Sadri Khiari, Nous sommes les Indigènes de la République, éd. Amsterdam, pp. 101-102-103). A propos de ces émeutes Khiari, déclare : « On était réellement convaincu qu’une explosion de cette ampleur, gigantesque, ne pouvait être qu’un tournant majeur dans la situation politique en France. Et en même temps nous avions une certaine prudence dans la mesure où l’on voyait bien que la révolte se développait de manière anarchique, à l’image du faible niveau d’organisation dans les quartiers populaires. On voyait qu’en elle-même la révolte n’avait pas les forces de proposer, de développer un projet politique. » Ce à quoi Bouteldja ajoute : « je crois qu’on a surestimé la capacité du mouvement et de la politisation qui l’a accompagné à déboucher rapidement sur l’apparition d’une génération militante plus organisé » (op. cit., p. 98). Il est évident que quand des émeutiers s’attaquent, comme en 2005 à tout ce qui les définit, ce n’est pas pour, le lendemain, s’organiser dans la revendication de ce qui les définit, mais ça le PIR va s’en charger.

« A révolte politique réponse politique » proclame la résolution en exigeant la démission du ministre de l’intérieur de l’époque (Sarkozy). Il y a du Luther King dans le PIR, cette façon de ne parler que de domination, de dignité et de droits politiques et la volonté de se positionner en interlocuteur responsable.

La réponse politique c’est d’être les « Pompiers de la République ». Dans un « Entretien » (non daté) Khiari ajoute : « Au sein des quartiers populaires, il y a notamment la volonté d’une représentation, surtout à l’échelle municipale : c’est le signe d’un retournement positif (souligné par nous) de situation après les révoltes de 2005 et les mouvements qui ont suivi dans certains quartiers. » (op. cit., p. 339). Mais rien n’est simple surtout quand on fait de la politique et que l’on veut s’imposer comme l’Organisation Représentative : « Les lignes du rapport de force ne sont plus ce qu’elles étaient avant la révolte de 2005. La répression et les manoeuvres du pouvoir blanc n’ont pas éteint la colère ni obtenu la soumission des quartiers, et si certains militants se sont "vendus", la majorité de ceux qui aujourd’hui espèrent trouver des raccourcis en collaborant avec les mairies et les partis blancs pour obtenir une amélioration de la situation de leur communauté pourraient s’insérer dans une autre démarche si une perspective politique indigène crédible à l’échelle nationale s’ouvrait. » (Bouteldja et Khiari, L’évolution en ciseaux des champs de l’antiracisme, in op. cit., p. 366).

La première étape consisterait à chapeauter toutes les associations de terrain existantes qui pour l’instant se montrent on ne peut plus rétives même si « la constitution d’une identité politique commune des indigènes exige l’existence d’un pôle unifié représentatif » (PIR, Principes politiques généraux, op. cit., p.267). Ensuite : « Le PIR a objectif politique l’avènement d’une majorité politique contrôlant les principaux leviers institutionnels et déterminée à engager les profondes réformes institutionnelles, sociales, économiques et culturelles nécessaires pour poursuivre le processus décolonial, dans ses différentes dimensions, et combattre les inégalités raciales. » (idem, p. 265). Là, les choses, déjà pas simples, se compliquent car le PIR se voit jouer dans la cour des grands : « Il ne saurait il y avoir de progrès dans la lutte contre le racisme institutionnel si ceux qui en sont les principales victimes sont exclus des sphères de contrôle, de décision et de conception. Ils doivent y être présents en toute autonomie. Tout cela pose évidemment la question de leur auto-organisation mais aussi le problème immense de leur représentation politique dans le champ institutionnel (souligné par nous). (…) Il y a des mesures à prendre pour faciliter l’accès des indigènes aux instances de représentation et d’autorité. » (Sadri Khiari, Le PIR est avenir, in op. cit ., p. 257). Il s’agit « d’accéder aux sphères décisionnelles de l’Etat » (Khiari et Bouteldja, op. cit, p. 226). Toute la réalité du PIR pourrait se résumer en une formule à l’adresse de l’Etat : « cooptez nous et on vous garantit la tranquillité ». Toute proportion gardée, la démarche est formellement la même que celle du PC et de la CGT après la Seconde Guerre, avec, au besoin, le même discours « radical » pour crédibiliser la nécessité de la reconnaissance (L’URSS en moins, mais Al Qaida et Daesh, en plus).

Il faut alors mettre en place une « politique indigène, crédible et autonome » en utilisant les élections et en constituant une « alliance hégémonique ». Il s’agit de « mettre en oeuvre une politique où nous sommes au pouvoir, et en même temps qu’à l’intérieur de ce pouvoir nous constitutions un contre-pouvoir autonome. (…) Comment être dans des instances de pouvoir – ça comporte toutes les instances du pouvoir, des institutions municipales, cantonales, régionales, jusqu’au législatif et à l’exécutif, etc. – avec des forces politiques blanches ? Quel type d’alliance stratégique pouvons-nous espérer construire ? » (Khiari et Bouteldja, Construire une majorité décoloniale, in op. cit., p. 393). Avec quelques hésitations la réponse va suivre : « Il faut être en mesure de développer un programme qui réponde tant à notre volonté et à nos intérêts qu’aux problèmes que vivent une majorité de Français blancs. Et sur ces questions, nous n’avons pas aujourd’hui de réponse et je ne sais pas si nous pouvons avoir de réponses claires à court terme. Il nous semble cependant que, lorsque nous observons par exemple la politique que mènent un certain nombre d’organisations de gauche ou d’extrême gauche aujourd’hui, il y a une dimension fondamentale occultée et qui concerne des couches populaires très larges : les questions culturelles, spirituelles, d’histoire, de mémoire, de traditions – de dignité plus généralement. Toutes ces questions sont vues avec un mépris formidable par les courants à gauche de la gauche, le plus souvent hyper-économistes. (…) La question centrale à gauche de la gauche est uniquement économique. Or la population française indigène comme non-indigène subit une dégradation, pas seulement de ses conditions de vie économique, mais également de tout son environnement de vie, d’une destruction des cultures, des savoirs populaires, des traditions, de la citoyenneté, de nombre de liens Le langage de l’identité et de la citoyenneté sociaux qui ne peuvent pas se résoudre uniquement par la nationalisation des moyens de production et la planification fussent-elles étatiques ou autogérées. » (idem, pp. 396-397). L’alliance de la crèche de Noël et de la barbe, celle de l’abrivado et du méchoui est déjà effective, pourvu que l’ « indigène » ne soit là que pour faire tourner la bête.

Le clin d’oeil à une large partie de l’électorat du Front National, sur les thèmes mêmes que ce dernier agite en les reprenant tels quels à son compte est évident. Si l’on suit la pensée de Sadri Khiari, il s’agit pour le PIR de se situer sur le même terrain (en voulant le retourner à son profit) que celui qu’il qualifie de « contre-révolution coloniale ». Parlant de la victoire électorale de Sarkozy en 2007, Khiari écrit à propos du « consensus stratégique » qui a assuré son succès : « Il s’est appuyé – et a entretenu – la résistance populaire blanche à l’intérieur même des frontières hexagonales. Si l’idéologie de la "guerre des civilisations" rencontre un tel écho en France c’est, comme on l’a vu, parce que les masses blanches hexagonales sont confrontées dans leur environnement immédiat aux progrès de la Puissance indigène. Associés à la poussée indigène "à domicile", la détérioration de leur condition sociale, le chômage, le délitement de la citoyenneté, l’érosion de leurs repères culturels, la dégradation de leur statut symbolique en tant que Français et Blancs leur paraissent plus ou moins confusément comme la conséquence d’une pression indigène à l’échelle mondiale. » (Khiari, La Contre-révolution coloniale en France, éd La Fabrique, p.212). Khiari perçoit finement que, pour les « classes populaires », avec « la décomposition de la puissance politique indépendante de la classe ouvrière et des organes qui la représentent, ce qui se joue ce n’est pas seulement le démantèlement des acquis sociaux, c’est en même temps leur statut de citoyen » (idem, p.187). Cela sous toutes les formes de la citoyenneté, y compris « leur dignité en tant que communauté de travailleurs » (idem). Les héritiers de Sarkozy (après son éviction de la primaire de la droite – novembre 2016) ne sont pas en reste : Laurent Wauquiez se vante d’avoir installé une crèche dans son conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes : « Sur l’énergie, sur les valeurs, j’assume quelque part d’être le premier héritier du sarkozysme. La force de Sarkozy était de pouvoir parler aux classes moyennes, aux ouvriers et aux petits retraités sans se laisser enfermer. Moi non plus je ne veux pas d’une droite des élites. » (Le Monde du 21 décembre 2016). Sur le terrain de la dignité de « la France qui travaille » le combat sera rude.

C’est avec cette situation qui relie conflictuellement, mais les relie quand même, étranger-immigré et politique, situation où les conflits de classes sont investis (tant du côté des « nationaux » que des « immigrés » éternisés en tant que tels), au travers de toute une série de médiations, d’une dimension politique et idéologique, que le Parti des Indigènes de la République (Mouvement des Indigènes de la République – MIR – jusqu’en février 2010) est en phase et peut développer son activité d’entrepreneurs en racisation. Activité dont le but avoué est de résorber les conflits sociaux en se constituant en représentant légitime vis-à-vis de l’Etat et dans l’Etat de cette partie de la population que l’on aura « réussi » à délimiter et définir de façon unidimensionnelle  : « Oui, il y a des Théorie communiste contradictions en notre sein (Noirs/Arabes, hommes/femmes, croyants/non-croyants, différence de classes sociales) mais elles doivent être traitées en interne. Sinon, elles seront instrumentalisées. Notre premier pas est d’en prendre le contre-pied et d’affirmer nos solidarités de quartiers, nos solidarités familiales, nos solidarités communautaires » (Houria Bouteldja, D’abord nous devons nous aimer, in Khiari et Bouteldja, Nous sommes les Indigènes de la République, éd. Amsterdam, p. 309). Si nous parlons un peu longuement du PIR, il faut préciser que le PIR n’est pas notre ennemi, au sens où nous nous situerions dans une concurrence avec lui sur la « représentation » du prolétariat au nom d’une unité totalement imaginaire de « La Classe ». Cela parce que nous considérons la segmentation raciale du prolétariat et généralement la constitution des identités raciales sociales sur l’ensemble de la société comme une construction objective dans le jeu des catégories du mode de production capitaliste (voir seconde partie). Si nous nous intéressons aux thèses développées par le PIR c’est parce que, quel que soit leur impact réel sur les populations racisées, elles sont un symptôme de la situation actuelle de cette construction raciale dans la mesure où elles entérinent le passage à la culturalisation et l’essentialisation et où elles en font leur fonds de commerce.

C’est dans l’efficacité de l’idéologie à découper et personnifier des processus sociaux que les Indigènes apparaissent comme des entrepreneurs en racisation (producteurs de sujets), comme il y a des entrepreneurs en nationalisme : une élite cherchant à constituer et délimiter une population sous un mode politiquement représentable dans l’Etat, pour en être les « parrains » (heureusement sans grande efficacité jusqu’à maintenant). On peut discuter à propos du PIR de la réalité de son homophobie, de son antisémitisme et de sa « compréhension complaisante » du « pro-Saddam » pendant la guerre du Golfe, mais ce qui est sûr c’est que le PIR fait tout pour qu’on en discute. Si l’on ajoute à cela l’indiscutable mise au rencart des luttes féminines etc., il ne s’agit pas de « dérives », ce qui présuppose un point de départ plus ou moins « sain », ces positions sont constitutives de l’activité d’entrepreneurs en racisation qui est la raison d’être du PIR. Le « bon sujet » doit être unidimensionnel. Ils découpent même un segment particulier dans la population « immigrée » sous le vocable de « postcolonial » [52]. Il leur faut définir une identité essentielle, une identité « épaisse » comme écrirait Pap Ndiaye reprenant une distinction proposée par le sociologue américain Tommie Shelby : « Shelby distingue une identité noire épaisse (thick blackness) d’une identité noire fine (thin blackness). Par identité épaisse, il signifie une identité fondée sur une culture, une histoire, des références communes, une langue qui marquent une différence nette entre ceux qui en sont les porteurs et les autres. L’identité épaisse renvoie à des groupes circonscrits, en quelque sorte intentionnels, qui ne procèdent pas d’injustices subies mais sont appuyés sur des éléments de culture communs. Quant à l’identité fine, elle délimite un groupe qui n’a en commun qu’une expérience de l’identité prescrite, celle de Noir en l’occurrence, qui a été historiquement associée à des expériences de domination subie, et qui peut s’accompagner de la conscience du partage de cette expérience. » (Pap Ndiaye, La Condition noire, essai sur une minorité française, éd. Folio, pp. 56-57).

Cette distinction fait écho à la critique menée par Mélusine dans Bouteldja, ses soeurs et nous (sur le net), et l’appréhension de la « race » qui est la sienne [53]. Rien de surprenant à ce que Sadri Khiari (principal théoricien du PIR avec Houria Bouteldja) se livre à une critique frontale du livre de Ndiaye sous le titre (assez drôle, il faut le reconnaître) : Pap Ndiaye tire à blanc (in Houria Bouteldja et Sadri Khiari, Nous sommes les Indigènes de la République, éd. Amsterdam). Khiari écrit « J’aurais même tendance à penser que "l’identité fine" n’est qu’une vue de l’esprit qui n’existe pas dans la réalité » (op. cit., p. 297). Pourtant dans le même texte : « Prolétarisés en France depuis peu ou depuis très longtemps, l’écrasante majorité des Noirs, et notamment les générations nouvelles nées en métropole, vit dans des quartiers populaires et c’est là que se prolongent et se reconstruisent ses identités, celle qui est particulière à chaque collectivité d’origine, celle qu’elle partage avec d’autres communautés, pas nécessairement noires, et celle qui lui est propre en tant que noire. » (idem, p. 299). Cependant, même s’il ne reste plus grand-chose de l’identité « épaisse » dans cette présentation, l’« économisme » demeure le grand adversaire à abattre des entrepreneurs en culturalisation ethnique. Cette culturalisation dont « la fabrique du musulman » constitue un sommet n’est pas pour déplaire à tout le monde comme le montre le corpus idéologique du PIR dont une cible principale devient « l’économisme », reprenant ainsi la construction que le « pouvoir blanc » (pour utiliser ce lexique) a imposée à la révolte et aux conflits sociaux.

Vive la culture, haro sur l’économisme

Dans un entretien de 2015 (à l’occasion des 10 ans du PIR), intitulé Nous avons à nous libérer de la modernité (sur le site du PIR), Sadri Khiari appelle à renoncer au « dogme économiste » au profit de la lutte contre la « modernité » qui pourrait fédérer avec les « Indigènes » une « majorité de Blancs qui subissent mille formes d’oppression » : « Les points aveugles de la gauche doivent être nos points de clairvoyance. Elle se casse la tête contre le mur de l’économisme, nous contournons l’économisme. Nous creusons des tunnels qui traversent la gauche et la droite et jusqu’à l’extrême droite. (…) la question de la dignité me semble ainsi une porte d’entrée trop négligée jusqu’à présent par la gauche. » N’ayant absolument pas l’intention de bouleverser les rapports de production, se fixant pour objectif d’ « être partie prenante de l’Etat » (ibid), se référant aux « Afro-Américains cherchant à promouvoir un capitalisme noir » (ibid), le PIR doit absolument autonomiser les sphères politique, juridique et idéologique. S’il est faux de rabattre et de dissoudre ces instances comme simple reflet ou traduction des rapports de production, il l’est encore plus de les absolutiser (le terme de « faux » ne ramène pas à un fait de conscience ce qui est dans l’un et l’autre cas une démarche politique).

Le monumental rapport de Gunnar Myrdal sur le racisme aux Etats-Unis, publié par la fondation Carnegie en 1944 (résumé critique dans Daniel Guérin, De l’oncle Tom aux Black Panthers, éd. Les bons caractères 2010, pages 25 à 31, première édition 10/18, 1973) conclut qu’il n’y a « aucune raison, aucune possibilité d’expliquer le statut de caste du Noir dans la société américaine en prenant comme base le facteur économique ». Critiquant cette conclusion, Guérin écrit : « Myrdal mettait utilement l’accent sur ce que les marxistes appellent la "superstructure", c’est-à-dire le reflet dans la conscience humaine des conditions matérielles produites par la société. Pour comprendre le problème noir, en effet, il est nécessaire, à la fois, de saisir le mécanisme complexe qui a engendré le préjugé racial, et de présenter la maladie mentale dont sont affligée les Blancs comme ayant pris, à la longue, une existence autonome. (…) Un Afro-Américain qui n’était pas un marxiste mais tout bonnement le président d’un syndicat ouvrier, Willard S. Townsend, a rétabli l’ordre des facteurs renversé par Myrdal : "Les inégalités dans notre système économique, écrivit-il, ne sont pas le produit de préjugés individuels ou de préjugés collectifs stéréotypés. Les préjugés stéréotypés résultent de ces inégalités ou en sont simplement les sous-produits" » (idem, p. 31). Notre propos ici n’est pas de commenter ce que Guérin entend par « superstructures » comme « reflet » et « conscience », mais de souligner qu’il cerne ce que l’on peut appeler une « autonomie relative ».

Dans le difficile concept d’autonomie relative, le terme de « relatif » ne signifie pas : c’est un peu « dépendant » (déterminé) et un peu « libre ». Les idéologies, le droit, etc. sont totalement indépendants et fonctionnent selon leurs règles propres dans le champ ou l’instance qu’ils délimitent. C’est ce champ, cet espace d’action, qui sont déterminés dans leur existence même en tant que champs particuliers (comme idéologie, droit, etc.). C’est par exemple le fait qu’il existe du droit qui est déterminé par les rapports de production, mais à l’intérieur de cet espace produit, le droit est autonome et fonctionne selon ses propres règles. Il est même presque ordinaire que les conflits à l’intérieur des rapports de production opèrent sous ces diverses idéologies. C’est cela l’autonomie relative (il peut exister des juges, des journalistes, des curés honnêtes et même des enseignants qui ne sont pas aux ordres des patrons, ils sont néanmoins des juges, etc.)

La guerre contre « l’économisme » n’est pas la reconnaissance de l’autonomie relative de ces instances, en effet, comme les libéraux américains de la Fondation Carnegie si l’on veut faire de la politique, délimiter des identités à représenter, il faut donner à ces instances idéologiques une indépendance absolue et même la préséance (il a même été possible à une certaine époque maintenant révolue de faire de la situation ouvrière une identité ouvrière). Il faut parler de dignité, de droits, de représentation politique. Entre la force d’inertie de la situation coloniale expliquant tout et le « préjugé » de Myrdal, la différence n’est pas bien grande. Regardons ce que fait Khiari de la « dignité » dont il vient de nous parler quand il s’agit de la « Révolution tunisienne » de 2011. « De mon point de vue, une analyse de la révolution tunisienne en termes strictement socio-économiques est impuissante à en cerner la dynamique profonde (souligné par nous). (…) Pour comprendre ce consensus (anti Ben Ali), il faut faire appel à une notion difficile à cerner, souvent négligée, mais qui pourtant, semble au coeur des nombreux mouvements de révoltes : la dignité. » (Khiari, La révolution tunisienne ne vient pas de nulle part, 15 janvier 2014, sur le site du PIR).

Nous nous autorisons ici une petite digression théorique qui viendra compléter ce que nous disions de l’autonomie relative. Pourquoi les rapports sociaux de production sont-ils la « dynamique profonde » ? En effet, personne ne contestera parmi les politiques, les « idéalistes », etc. que pour mettre au premier plan la politique, la religion, l’idéologie, etc. les individus doivent d’abord tout simplement vivre, produire leurs moyens de subsistance et leurs instruments de production (cf. Marx, Idéologie Allemande). Mais, ce n’est pas simplement cela, ce que tout le monde admet, qui fait des rapports de production la « dynamique profonde », c’est que la relation nécessaire des hommes à leurs subsistances n’est jamais une « prédation », ne relie pas deux abstractions naturelles : les hommes, les subsistances ou la « nature ». Cette relation est réglée par un rapport de production, un rapport social. L’idéaliste renvoie la satisfaction de « l’indispensable » à une simple naturalité. C’est parce que la production nécessaire comporte ce rapport comme sa condition que le rapport social de production règle tous les autres. Le « socio-économique » est la « dynamique profonde » pour reprendre les termes de Khiari, mais aucune révolution ne fait sonner « l’heure solitaire de la dernière instance » (Althusser) et aucun mode de production ne se limite à l’économie. Si cela est vrai c’est néanmoins ramener l’analyse à l’exposé des apparences et à ce que les acteurs disent d’eux-mêmes que de faire du sentiment, de l’éthique, la « dynamique profonde ». En Tunisie, le « consensus anti Ben Ali » fut le résultat de conflits et de l’effacement des premières catégories sociales qui se révoltèrent contre le pouvoir au profit d’autres groupes leur succédant comme leader du mouvement, en gros le passage des régions périphériques à Tunis. Khiari gomme tout le procès conflictuel interne de la « révolution tunisienne ».

L’originalité du PIR consiste à formuler en une idéologie politique globale toutes les évolutions éparses touchant les constructions et segmentations raciales. Pour cela, il fallait produire un discours leur conférant un sens qui en enveloppe toutes les facettes. Le PIR réussit un exploit théorique : héritier de problématiques postmodernes, il s’empare d’un nouveau « Grand Récit », celui des « blancs » et des « non-blancs » qui revisite l’histoire universelle et celle de la philosophie sous l’autorité universitaire de la pensée décoloniale.

Théorie Communiste
N°26, pp. 152-160, Mai 2018

NOTES

52. C’est une expérience commune actuelle qui est appelée « postcoloniale » et se trouve métamorphosée en « identité épaisse ». Ce sont les conditions présentes qui vivifient les héritages historiques et leur donnent sens.

53 « Contrairement à ce qu’elle [Bouteldja] croit, ce n’est ni le sang, ni l’identité, ni la culture qui rassemble les racisés, c’est une condition partagée : une condition matérielle, car les processus de racialisation qui nous constituent en groupe n’ont que faire de nos individualités. » (Mélusine, op. cit.).


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