Le championnat du monde d’échecs par équipes va voir s’affronter 12 équipes -dont la France- à la cadence de 45 minutes + 10 secondes par coup, du 20 au 25 novembre 2022.
Ce championnat a été confié à la Fédération israélienne des échecs et va se dérouler dans l’hôtel Dan, à « Jérusalem ».
Si aux échecs un joueur essaie de prévoir un maximum de coups à l’avance, la FIDE brille ici par son retard : en février dernier, Amnesty International a publié un rapport d’enquête de 280 pages (1) qui qualifie d’apartheid (2), de système cruel de domination et de crime contre l’humanité les pratiques d’Israël envers le peuple palestinien. Ce rapport fait suite à celui d’Human Rights Watch (3) en avril 2021 et celui de l’ONG israélienne B’Tselem (4) en janvier 2021 et qui arrivaient aux mêmes conclusions. En mars 2022, un rapporteur spécial des Nations Unies qualifie lui aussi le régime israélien d’apartheid (5). D’autres ONG et défenseurs des droits humains alertent depuis bien plus longtemps sur la nature de ce système.
Ce ne sera certes pas la première fois que la FIDE confie l’organisation d’un tournoi à un régime autoritaire ou qui bafoue les droits de l’Homme, mais cette qualification d’ « apartheid » fait d’Israël une spécificité.
De plus, à l’instar du régime d’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1970 et 1980, un appel au boycott, aux désinvestissements et aux sanctions contre Israël tant que le pays ne respecte pas le droit international (6) a été lancé par la plus grande coalition d’organisations palestiniennes, la campagne BDS, en 2005. Cet appel au boycott englobe le sport qui représente une vitrine pour un pays en quête de normalisation de son image, communément nommé sportwashing. La FIDE a d’ailleurs été interpellée par cette campagne qui lui demandait de relocaliser ce championnat (7). Rappelons que la FIDE a exclu l’Afrique du Sud des Olympiades en 1974. Et rappelons aussi que la Russie, pays historique des échecs, est exclue des compétitions de la FIDE -dont ce championnat du monde-, suite à la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine.
La FIDE a rendu hommage à Nelson Mandela, incarnation de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, à sa mort en 2013 (8 ), elle a soutenu un tournoi en sa mémoire (9) ou elle le cite dans une brochure intitulée « Le jeu d’échecs, un outil pour l’éducation et la santé » (10). Le même Mandela qui déclarait en 1997 « Nous savons que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ». Les hommages c’est bien, mais l’Histoire se joue au présent.
Enfin, comble du cynisme, ce championnat du monde ne se déroulera en fait pas vraiment en Israël, mais à Jérusalem-Est, dans la partie occupée de la ville depuis 1967. Le Conseil de sécurité des Nations Unies considère l’annexion par Israël de cette partie de Jérusalem comme une violation du droit international (Résolution 478 du 20 août 1980). Le tournoi se tiendra à quelques encablures de l’emblématique quartier palestinien de Sheikh Jarrah, un des symboles de la dépossession des Palestiniens de leur terre.
Alors comment une institution qui prétend « s’engage[r] à respecter tous les droits de l’homme internationalement reconnus et s’efforce[r] de promouvoir la protection de ces droits. » (Article 4.3 de la Charte de la FIDE) peut-elle organiser un tournoi dans ces conditions, à moins de ne rien connaître de cette situation ? N’est-elle pas au courant de l’existence d’une Palestine occupée qui participe aux Olympiades depuis 1984 ?
Comment ne pas jeter le discrédit sur notre sport dont ses acteurs, à tous les niveaux, en font la promotion comme étant notamment un excellent outil pour l’apprentissage des règles et du respect de l’autre ?
Avec les fédérations, les joueurs et les officiels participant au tournoi, la FIDE aide au lent effacement de la Palestine en tant que nation et des Palestiniens en tant que peuple. (11)
En espérant au moins que les différentes interpellations dont la FIDE a fait l’objet serviront à mettre la lumière sur la nature du régime israélien et sur la portée politique et symbolique de l’organisation d’un championnat qui bafoue toute éthique sportive, et qu’une leçon en sera tirée.
Loïc Cwiek
Joueur, arbitre et dirigeant de club d’échecs.
(1) Amnesty International : https://www.amnesty.org/fr/documents/mde15/5141/2022/fr/
(2) Apartheid : Régime institutionnalisé d’oppression et de discrimination raciale systématique, système de règle étrangère établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe ethnique-national-racial sur un autre, et système de discrimination institutionnalisée en vue d’une domination permanente construit sur la pratique régulière d’actes inhumains
(4) B’Tselem : https://www.btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_apartheid
(5) Rapporteur de l’ONU : https://www.ungeneva.org/fr/news-media/meeting-summary/2022/03/conseil-des-droits-de-lhomme-m-michael-lynk-qualifie-dapartheid
(6) Plus précisément jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et se conforme entièrement aux préceptes du droit international, en :
Mettant fin à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le Mur
Reconnaissant les droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une complète égalité ; et
Respectant, protégeant et favorisant les droits des réfugiés palestiniens à recouvrer leurs maisons et leurs biens comme le stipule la résolution 194 de l’ONU
(7) Lettre de BDS : https://www.bdsfrance.org/fide/
(8 ) https://twitter.com/FIDE_chess/status/410042247280095233?s=20&t=tLlz-cfLoKH--LIsu0ECxA
(9) https://twitter.com/FIDE_chess/status/1424036837149089794?s=20&t=tLlz-cfLoKH--LIsu0ECxA
(10) https://edu.fide.com/wp-content/uploads/2021/02/OGF3fr2-180322.pdf
(11) Phrase empruntée à cet article paru sur la London Review of Books : https://www.lrb.co.uk/blog/2022/november/in-occupied-territory
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