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Cauchemar à la fac
envoyé le 08/11/24 par Anonyme Mots-clés  éducation   service public   violence policière  

Publication anonyme du blog https://100noms.noblogs.org sur l’intervention policière à l’université le mois dernier

Université Lille 3, Pont de Bois, 08/10/2024

Mon cours venait de se terminer, il était 18h. Je venais de faire un exposé sur Rousseau, je manquais de sommeil à cause de ce nouveau jeu vidéo addictif que je venais de cracker (Balatro), et c’était à peine le lendemain de la Rentrée Anarchiste. Autant dire que j’étais bien fatigué·e. Mais je ne rentre pas directement chez moi. Sur les réseaux, j’ai vu passer un appel à une AG interfac, sur le forum de mon campus, à 18h30. Donc j’attends un peu, jouant encore un peu au jeu qui occupe mes nuits et mes cours.

18h34, je sors du bâtiment A. Sur le forum, pas mal de gens, moins d’une centaine mais éparpillé dans tout l’espace de la « cour de récré ». Ou plutôt retranchés en camps distincts. Je peux nommer visuellement les courants idéologiques des groupes présents. Et c’est ce que je fais, en rejoignant 2 nouveaux étudiants rencontrés quelques semaines plus tôt aux tables noires/fripes organisées par la Copainerie Autonome. Je leur montre du doigt, pas très discrètement : Ici, c’est Solidaires, là l’UNEF, puis la JC, et LFI tiens. Pour les totos, c’est un peu plus compliqué, on virevolte de droite à gauche. Moi je vais parler avec ma pote de Solidaires avec qui j’ai fait les 400 coups (sacrée expression lol). Elle émet des doutes sur l’orga de cette AG, on ne sait pas exactement de qui ça vient. D’ailleurs, l’UNEF se casse, comme d’hab. J’ai peur que ça soit un bourbier.

Bref, après avoir attendu, bien 10 minutes, un mouvement se lance progressivement. Iels n’ont pas réservé de salle, ou plutôt j’ai cru comprendre qu’on leur à refusé. On fait le tour du bâtiment A pour rentrer par l’arrière. A notre approche, tous les portails en métal se mettent à se fermer sur les portes vitrées. Je me rappelle pas que ça fasse ça d’habitude. Ça me fait rapidement penser aux scènes dans les films American Nightmare le jour de la Purge. Mais j’ai pas le temps d’y penser un peu plus, on nous dit d’accélérer. Je ne cours pas non plus, attendant de savoir ce qui se passe. On arrive avec ma pote de Solidaires devant 5-6 totos en train de pousser l’agent de sécu qui essaie de fermer la porte. On se poste de loin, avec la flemme d’intervenir, pas sûr·es que le jeu en vaille la chandelle. Mais sous le nombre, le vigile abandonne et on rentre tranquillement. Les totos nous guident dans les couloirs, jusqu’à une petite salle cachée dans un coin. La seule ouverte visiblement, toutes les autres sont fermées par badge magnétique.

Nous voilà un peu plus d’une cinquantaine à réorganiser la salle, à se mélanger un peu plus mais pas trop entre « factions ». Ça blablate bien 10 minutes, ça ouvre la fenêtre, fait rentrer les derniers. Je souffle à ma pote qu’une p’tite gueulante serait bénèf pour lancer la discussion alors que personne n’ose. Ni une ni deux, un « On commence ! » retentit. Et on enchaîne aussitôt sur la question de la Palestine et de la Kanaky, les raisons de l’appel à l’AG. On réfléchit à des revendications sur la fac, à faire des actions. La question de faire une occupation de la fac fait débat, encore que ça se déroule étonnamment bien (ptêtre parce que l’UNEF est partie). Juste que certain·es veulent occuper dès maintenant, d’autres veulent prendre plus le temps de préparer. Je fais partie de la seconde catégorie. Mais je comprend que l’occasion de ce soir ne se reproduira pas de sitôt.

Pendant qu’on parle, des retardataires affluent, quelques uns partent. A chaque fois, l’alarme du couloir sonne. Encore qu’on s’entend pas trop mal quand la porte est fermée. On décide de se mettre en petits groupes, entre revendications, organisation de l’occupation à venir, et celleux qui veulent lancer dès ce soir, alors qu’on décide que les projets ne sont pas contradictoires. Là nous quittent les orgas les moins radicales, LFI et la JC, et d’autres personnes. L’alarme ne s’arrête plus. Pendant qu’on discute sérieusement, que je prend des notes, on entend dans les couloirs des bruits de chaînes. On nous dit quelque chose à propos de la sécu mais je n’entend pas, concentré·e pour faire tourner la discussion. Quelqu’un essaie de rentrer depuis l’extérieur dans notre salle, mais repart. On ne s’arrête vraiment que quand on nous confirme que des fourgons de police viennent d’arriver en masse à l’arrêt de métro PDB. Des gens qui sortent nous tiennent informé·es par messages. Mais cette ressource est stoppée alors qu’on fait un point antirep, éteignant nos téléphones au cas où il y aurait des arrestations. Je m’attendais pas vraiment à ce que ce soit un tel bourbier. Et ça ne s’améliore pas beaucoup après.

Je fais partie des gens qui veulent partir. On est à peu près 15-20, et iels sont à peine moins à vouloir rester. Personne ne fait pression sur l’autre, on se sépare en se souhaitant bon courage. Je lance le mouvement de sortie par la porte. Mais je reprend rapidement conscience de ce qu’on m’avait dit sur la sécu : ils nous ont enfermés. Sur chaque porte, et il y en a des dizaines et des dizaines, une chaîne en métal avec un cadenas. Putain les bâtards. Je pense pas que ça soit légal de bloquer des portes incendies comme ça. En même temps, y a eu des occups les deux années précédentes, fallait s’attendre à ce qu’ils soient mieux préparés. Mais là ! C’est chaud.

Et c’est là où la partie qui faisait film d’horreur commence. On nous a informé que la police venait d’entrer dans le campus. Il fallait sortir, vite. A pas pressés dans les couloirs, j’emmène la petite foule dans une direction, mais je me rends rapidement compte que je ne sais pas où je vais, toutes les portes sont fermées. Je me laisse guider. On fait deux fois demi-tour, avant d’avoir l’idée d’aller vers le théâtre des passerelles. Il y a des portes automatiques là-bas, et on sait les ouvrir. Et on court presque dans les couloirs, dans un scène irréaliste au même endroit où j’étais en cours 1h avant. L’alarme sonne toujours, partout. J’essaie de voir ma résistance au bruit, mais elle est trop forte, je met mes mains sur mes oreilles alors que je commence à dissocier. J’aurais été terrifié·e seul·e. Mais je me sens obligé·e de guider un peu ce groupe dont la moitié venait d’entrer à la fac. Ma pote est là, je la vois mais ne l’entend pas. La peur de la police est plus présente encore.

On arrive au théâtre des passerelles. Mais ils ont déjà fermé la grande grille qui nous sépare des portes automatiques. On est coincé. On ne sait plus où aller. Poussé·es par l’audace, et ayant repéré une chaîne mal fixée, je tente de forcer une sortie de secours. Je dois mis reprendre à deux fois, mais l’anneau où passe la chaîne finit par céder. On sort du bâtiment. Mais pas encore de la fac.

On hésite où aller, à quel endroit il est probable que les flics se soient postés. Pendant ce temps là, les caméras nous surveillent de leur œil vitreux. On décide d’aller vers le parc, plus proche, et menant à un quartier résidentiel derrière. Visiblement, c’était le bon choix, les grilles qu’on se préparait à escalader ne sont même pas fermées. On traverse le parc rapidement, dans la nuit, avec la peur de tomber sur une rangée de bouclier ou un groupe de la milice avec des brassards oranges. Mais rien, on croise juste un type qui promène son chien avant de rejoindre le quartier résidentiel. On se sent plus rassuré·es, au milieu de maisons et entouré·es de gens qui s’étonnent de voir notre petit groupe en noir et à moitié masqué. Ma pote chante la Ravachole et l’Internationale, ça met du baume au coeur. On continue de s’éloigner avant que quelques uns rallument leur téléphone. Les potos à l’intérieur sont en train de se faire évacuer par les keufs, sans précision. Une autre info nous dit que les keufs attendent à l’arrêt de métro de Pont de Bois. On choisit de marcher jusqu’au prochain arrêt, toujours en groupe.

On atterrit dans un coin que je n’ai jamais visité, une grande avenue avec pleins de magasins de bagnoles. Sur le chemin, on se dit que cette grosse pub Peugeot pouvait bien servir de banderole en manif. Avec ma (trop grosse) prise dans les bras, on s’approche du métro. Mais là, trois fourgons de keufs, avec ceux-ci tous dehors, nous attendent. On les repère de loin et on fait demi-tour. On se sépare en petit groupe, au pas de course. J’ai balancé ma trouvaille dans un concessionnaire voisin. Deux ou trois voitures de la Natio viennent dans notre direction, ralentissent à l’endroit où j’ai lancé la banderole. On passe le panneau d’Hellemmes, et on retrouve les autres. De nouveau dans des petites rues résidentielles, on va vers le prochain arrêt de bus. Sur le chemin, on trouve des stickers de fafs, avec des croix celtiques. J’en récupère pour ma collection, et on en recouvre d’autre avec nos stickers anarca-queers. Le bus arrive sur notre arrêt bien paumé, on monte en troupeau de toto. Puis on descend pour le métro Mairie d’Hellemmes, on se rassure. Chacun repart chez soi.

Je rentre avec ma pote, qui habite pas loin de chez moi. On est content·e d’avoir vécu ça ensemble, ça faisait longtemps qu’on avait pas partagé un bourbier. On parle d’autre chose, de ses déboires relationnels notamment. Puis on se sépare. Je retrouve mes collocs pour leur raconter. Je rallume mon téléphone pour avoir et partager des infos sur Signal. Un RDV est donné le lendemain pour en parler.

J’y vais. J’y récupère des affaires pendant que les potes qui étaient restés racontent leur côté de l’histoire. La veille, moins de 20 minutes après notre départ, donc à peu près quand on a volé la bâche Peugeot peut-être, la BAC entre par la fenêtre de la salle où on se réunissait. D’autres unités forcent la porte au même moment, renversent les tables. Ils sont bien 40 ou 50 plus ou moins équipés. Puis c’est les contrôles d’identités à la chaîne, fouilles qui ressemblent à des attouchements sexuels, amendes forfaitaires pour de la cons’, mais ça aurait pu être n’importe quoi. Enfin, pas de GAV, juste des insultes une fois mis à la porte de la fac. Iels veulent écrire un communiqué là-dessus, que ça s’entende. De voir que la répression des mouvements pour la Palestine est bien réelle.

Je n’ai pas le temps de rester écouter plus ce précieux récit : je retourne en cours. A la fac, tout est comme d’habitude, rien n’a changé. La scène de théâtre ennuyante n’a rien perdue de son cours mortifère. Je vais en cours un étage au dessus de là ou j’ai défoncé cette porte il y a moins de 24h. Mon cours vient de se terminer, je l’ai passé à écrire ce texte. Ça me donne l’impression d’avoir juste fait un mauvais cauchemar.

D’autres textes autour de ce cauchemar :

Aujourd’hui, j’ai vu ma psy

https://lille.indymedia.org/spip.php?article36728

Récit d’une AG interrompue

https://lille.indymedia.org/spip.php?article36735


envoyé le 8 novembre 2024  par Anonyme  Alerter le collectif de modération à propos de la publication de cet article. Imprimer l'article
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