Nous discutons du dogme de la morale anarchiste qui voudrait que les anarchistes se doivent de refuser de voter en tout temps et en tout lieu. Ce texte est une réponse au texte Après le naufragequi rend responsable toustes les votant.es des violences d’état, en particulier les camarades anarchistes.
Présentation
Un collectif nommé « des insurrectionnalistes » a récemment publié sur Rebellyon Après le naufrage, qui fait suite à un précédent texte intitulé Le citoyennisme qui vient (tu trouveras le lien ici si tu as envie de t’en faire un avis : https://rebellyon.info/Apres-le-naufrage-a-propos-de-l-anarcho-26308). Ce texte fustige toutes les personnes ayant voté en 2024. Les camarades se revendiquant de l’anarchisme sont particulièrement visé.es. Il les accuse d’être responsables des violences d’état et pratique un confusionnisme historique nauséabond. Cela nous parait hautement douteux et nous souhaitons y répondre.
Posons-le d’emblée, nous n’aimons ni l’état, ni les systèmes de domination en place et nous ne condamnons pas les dégradations. Nous savons également que les conquis sociaux sont le fruit de la lutte. Enfin, il nous semble évident que le vote seul dans le système actuel n’est qu’un instrument des dominant.es pour faire vivre une fausse idée de la démocratie.
Dans le texte Après le naufrage, le collectif se réclame d’une pureté anarchiste telle qu’ils affichent fièrement leur refus de participer à toute élection. Nous allons discuter de cette « règle » de la morale anarchiste qui voudrait que les anarchistes se doivent de refuser obstinément de voter en tout temps et en tout lieu. Suivre une règle ou un comportement sans chercher à l’inscrire dans un contexte ni le questionner, cela a un mot : ça s’appelle un dogme. Ce dogme nous est problématique car il produit une pensée qui n’est pas en phase avec le réel. Produire et partager une telle pensée nous semble dangereux car elle nous prive d’un moyen d’action facile et accessible au plus grand nombre. Plus largement en tant qu’anarchistes il nous paraît important de combattre tous les dogmes.
Nous remarquons aussi que le collectif invoque énormément de citations d’auteurs pour appuyer son propos et lui donner une force supplémentaire (pas d’autrices dans leur corpus. Parmi les auteur.ices anarchistes les plus connu.es ayant écrit sur le sujet on trouve pourtant Louise Michel ou Emma Goldman. Oubli révélateur ? Oui, on le croit fort). En rhétorique on appelle cela des arguments d’autorité. Ça a beau faire Klasse et Kultivé, ça ne rend pas pour autant un discours pertinent dans un contexte donné. Et même, ça fait vite KK quand ça devient trop voyant.
Camarade lecteur.rice, désolés d’avance on a tartiné. Il nous semblait important de revenir en détail sur les nombreux aspects développés par le texte.
Contexte
Nous rappelons que le texte parle des élections législatives de 2024. Ces élections devaient permettre de départager trois blocs : un bloc de gauche, sous la bannière du nouveau front populaire (NFP), le bloc des macronards radicalisé.es et le bloc d’extrême droite. L’existence du NFP a créé à gauche un engouement certain poussant beaucoup de camarades à se mobiliser pour l’occasion. Sans discuter du fond des programmes, ce n’est pas tout à fait l’objet du texte critiqué, nous avons pu constater la mythique « union des gauches » se faire. Union qui semblait d’autant plus nécessaire que le FN se rapproche toujours du pouvoir, d’élections en élections. Cette union n’est pas, et n’a jamais été, l’aboutissement d’une vie de lutte militante acharnée qui se terminerait dans l’apotéose d’un bulletin sensuellement glissé dans une urne suivi d’un orgasme à 20h. Non. Il y avait urgence, et il y a encore urgence, à lutter contre l’extrême droite et ses allié.es du bloc bourgeois partout, tout le temps.
Argumentaire
Le collectif « des insurrectionnalistes » se moque de la différence d’intensité que pourrait connaître la guerre aux pauvres et aux personnes minorisées, la répression policière, les atteintes aux libertés publiques et fondamentales si des nazi.es (des vrai.es, avec des vrai.es croix gammées et des vrai.es idées génocidaires) ou des fascistes contrôlaient totalement l’appareil d’état. Bien entendu la guerre aux pauvres et aux personnes minorisées, la répression policière, les atteintes aux libertés publiques et fondamentales existent. Cela existe, tue, brise des vies, mutile les corps et les esprits, vole des espoirs et détruit des utopies. Mais il faut se rouler dans un confort bourgeois-blanc-hétéro crasse pour imaginer que cela ne pourrait pas être pire. Il serait pertinent d’ouvrir les yeux ou simplement un livre d’histoire avant de se draper d’orgueil. L’argument est doublé d’un autre poncif : acquérir des droits serait dépolitisant. Là encore, l’argument est socialement situé.
Nous invitons nos appelo-insurrectionnalistes à aller rencontrer des migrant.es (dans la vraie vie) qui traversent des frontières, la répression, l’enfermement, parfois jusqu’à en mourir.
Nous les invitons à aller rencontrer des personnes LGBTQIA + qui trop souvent se font harceler ou agresser du simple fait de leur existence, parfois jusqu’à en mourir.
Nous les invitons à aller rencontrer des pauvres (des vrai.es) qui vivent à la rue ou dans des conditions indignes, parfois jusqu’à en mourir.
Nous les invitons à aller rencontrer des personnes sexisées qui trop souvent se font harceler ou agresser du simple fait de leur existence, parfois jusqu’à en mourir.
Nous les invitons à aller rencontrer des prolétaires (des vrai.es) qui travaillent dans des conditions inacceptables, parfois jusqu’à en mourir.
Nous les invitons à rencontrer des personnes racisées, en particulier celles vivants dans des quartiers pauvres, qui se font humilier par les pouvoirs publics, harceler et agresser continuellement par la police, parfois jusqu’à en mourir.
En somme, nous les invitons à sortir de leur confort bourgeois-blanc-hétéro et à aller rencontrer celleux qui souffrent déjà des politiques étatiques répressives. Nous les invitons à aller rencontrer celleux qui souffriraient d’autant plus si l’état était totalement aux mains de nazi.es et autres fascistes. Pour celleux qui vivent au jour le jour, avoir des droits, obtenir des conquis, c’est avant tout vivre et arrêter de survivre ! Dans ces conditions, oser critiquer un de leurs (nos) modes d’action est proprement abject.
Dans une perspective militante utilitariste, il nous paraît également plus facile de lutter pour faire advenir nos idées si nous devons lutter contre une gauche réformiste que contre des nazi.es et des fascistes (oui, on connaît la loi travail, oui, on connaît Sivens, oui, on connaît NDDL mais on connaît aussi les révoltés pour Nahel, on connaît aussi Ste So, on connait aussi la révolte en Kanaky). Mettre tous les gouvernements et tous les types d’état sur le même plan c’est du confusionnisme, voir du révisionnisme. Comment oser affirmer que le Front Populaire de 36 qui a obtenu beaucoup d’avancées sociales pour la classe ouvrière serait de la même essence que le gouvernement de Vichy qui a fait arrêter, déporter, assassiner juifs.ves, LGBTQIA+, handicapé.es, anarchistes, communistes, résistant.es ? En tant qu’anarchistes nous sommes contre tous les gouvernements mais il est plus facile de lutter contre certains que contre d’autres. En tant qu’anarchistes nous nous positionnons également contre toute manipulation de l’histoire et du réel.
Se détacher à ce point du réel et des conséquences des actes sur autrui c’est du nihilisme. Et le nihisme c’est cool que dans les flims.
Et quel mépris, de classe assurément, que d’affirmer qu’après avoir obtenu une amélioration de nos conditions de vie, notre désir d’émancipation s’émousserait. Nous ne risquons pas nos vies et nos libertés pour un SMIC à 2 000€, nous le faisons car nous croyons en l’utopie anarchiste.
D’après nos appelo-insurrectionnalistes, voter serait légitimer l’état. Cet argument ne tient pas. Payer ses impôts, utiliser les services publics, se faire vacciner, bénéficier des minimas sociaux, c’est aussi participer d’une manière ou d’une autre au système étatique. Alors quoi ? On arrête de tenter de répartir les richesses via l’impôt ? On arrête d’emprunter les routes et on ne se rend plus dans un hôpital ? On laisse se propager des maladies sans se soucier des conséquences ? On arrête d’être pauvres tout simplement ? L’argument est aussi pertinent que celui qui voudrait qu’il est impossible d’être écologiste si l’on possède un smartphone. A ce compte-là, si on veut être à ce point jusqu’au-boutiste, autant se suicider.
A cet endroit, deux points doivent être évoqués : la désacralisation du vote et la diversité des tactiques.
Le mythe républicain nous invite à considérer le vote comme un acte sacré, summum de l’engagement citoyen. Adopter cette conception et sacraliser le vote c’est déjà faire le jeu étatique. Dans notre vision politique, le vote n’a rien de sacré. Nous ne décidons que de la personne qui prendra des décisions à notre place sans que nous ayons notre mot à dire sur ses choix. Sacraliser le vote, c’est justement accepter que ce soit le seul « acte citoyen » qui serait à notre portée. C’est accepter que voter tous les cinq ou six ans suffit à rendre démocratique n’importe quel système politique. Or, faire du vote le responsable de tous les maux causés par l’état, comme le fait le collectif des insurrectionnalistes, c’est précisément accepter ce cadrage du mythe républicain.
Ainsi, pour les appelo-insurrectionnalistes, les votant.es auraient, par leur vote, validé tous les gouvernements à venir, alors même que la plus part ont voté pour un programme de gauche (pas radical, mais c’est encore une fois pas le sujet) et certain.es pour un régime politique totalement différent (la VIe république). Un peu de sérieux svp…
Quel niveau de déconnexion au réel faut-il avoir pour écrire :« Et c’est bien de toi, camarade, que l’on parle ici : toi qui a voté, tu es responsable des répressions futures, des charges de CRS, des LBD et des matraques, tu soutiens les GAV et les CRA, tu soutiens les flics et tu les soutiendras encore quand ils tireront à vue. Tout cela est ton œuvre, tu as participé. Et si jamais l’Etat tue encore l’un.e de nous, tu devras assumer ta part de responsabilité. En votant, « camarade », tu as choisi ton camp. »
Rendre responsable les victimes de la répression/violence qu’elles subissent, ça rappelle des argumentaires bien dégeulasses. Allez, on rajoute « mascu » pour qualifier notre collectif d’appelo-insurrectionnalistes !
Abordons la diversité des tactiques. Reprenons les livres d’histoire qui ont été délaissés par nos appelo-mascu-insurrectionnalistes. Toutes les luttes, tous les conquis sociaux ont été obtenus grâce à une convergence des tactiques (violentes/non violentes, illégales/légales, etc.). Voter est un des moyens de potentiellement améliorer nos conditions de vie (on s’entend, on utilise « potentiellement » on sait bien que les politicien.nes et leurs partis ne sont pas vraiment des camarades. Bon il y en a des biens, on dit pas. On a nous-même un bon ami à la FI… M’enfin bon, c’est pas tout à fait des gens recommandables quand même, iels sont pas comme nous !).
Voter, ça prend 10 minutes (1h si tu inclus la lecture des professions de foi et le reste du blabla). 10 minutes tous les cinq ou six ans… En somme, rien n’empêche de vaquer à nos occupations toute l’année : ouvrir des lieux, occuper les espaces de production, faire de la propagande, créer des utopies (dans le réel, pas jouer aux appelos), tisser des liens de solidarité et d’émancipation, participer à détruire les émanations du capitalisme où qu’elles se trouvent.
Se priver d’un levier d’action, par principe, c’est du dogmatisme qui veut s’affranchir des conditions réelles d’existance. Se priver du vote, par principe, c’est autant futé que de se priver des actions de sabotage, par principe.
Dans la lutte, pour être pertinent.es et efficace, il faut appliquer l’adage « c’est l’occasion qui fait le larron ». Il faut savoir se saisir des stratégies et moyens de luttes qui permettent, dans l’instant, d’avancer vers le but fixé.
Il faut rappeler qu’abandonner l’acte de vote c’est le laisser aux mains de celleux qui y croient, principalement les gens de droite. On aura beau tordre le problème dans tous les sens : dans le système actuel la légitimité du vote n’est pas questionnée. Il suffira toujours qu’une personne vote pour qu’une élection fasse foi, peu importe la taille du corps électoral. Pour nous il n’est pas très pertinent ni très intelligent de laisser à la minorité de droite le soin de s’exprimer par le vote sans répliquer par le même outil. D’autant plus que l’usage de cet outil est accessible facilement à un grand nombre.
Si vous ne voulez obstinément pas voter, sachez que des camarades qui n’ont pas la nationalité française ou/donc pas le droit de vote peuvent avoir envie/besoin de le faire. Un pas de côté vous permettra de leur proposer de voter pour elleux (sauf si vous considérez que c’est ok que tout le monde n’aient pas les mêmes doits ;) ).
Dans une perspective révolutionnaire, une question morale se pose en dernière analyse. Est-ce que des gens plongé.es dans une misère profonde se soulèveront plus facilement que des personnes qui ne le sont pas ? Nous sommes tenté de répondre oui. Se pose alors une question, à quel degré de misère et combien de mort.es arrivera la révolution ? Encore une fois, la misère c’est pas un truc sympathique à vivre, ça tue. Sommes-nous prêt.es à sacrifier sciemment des vies en espérant que cela déclenche une révolution victorieuse ?
Les bourgeois.es et leur confort répondront assurément par l’affirmative, nos appelo-mascu-insurrectionnalistes nous le prouvent. Les autres auront peut-être un peu moins de scrupules à tenter d’améliorer leurs conditions de vie dans le présent et celles de celleux qui subissent les systèmes de domination et d’oppression. « La misère pour la comprendre, faut la voir ou la vivre ».
« C’est reculer que d’être stationnaire, on le devient de trop philosopher ». Il est tout à fait possible de voter avec un bulletin ET un pavé, c’est de la branlette dogmatique que de prétendre le contraire.
KZD (Comité De Propagande Qui Roule Sur Les Dogmes Tous Pétés)
https://rebellyon.info/Contre-le-petit-confort-nihiliste-27773
Les commentaires sont modérés avant d’être visibles et n’apparaissent pas directement après les avoir proposés.
Les objectifs de commentaires sont :
compléter l’information donnée dans la contribution
apporter un argument ou contre-argument à la contribution
apporter une interrogation ou un questionnement par rapport au sujet de la contribution.
Tout commentaire ne répondant pas à un de ces trois objectifs, ou étant contraire aux précédents points de la charte sera supprimé définitivement du site.