« Je souhaite, pour de nouvelles personnes, étendre et approfondir cette critique des organisations formelles et peut-être pour des compagnon·ne·s qui ont été dans le coin depuis peu, l’actualiser. Puis je souhaite offrir une proposition aux individus pour qu’iels l’examinent, en discutent, et la prennent ou la laissent à leur guise. »
Publié anonymement sur Puget Sound Anarchist le 16 juin 2025. Une méthode de lutte à discuter et à saisir depuis le dit détroit de Puget, dans l’État de Washington, alors que les révoltes émeutières contre la Police Aux Frontières locale (I.C.E.) ont déjà commencé à être récupérées par les gauchistes. Du côté du vieux continent, des compas lancent une manifestation solidaire dans le Sud de Londres le 21 juin. Pendant qu’ici le Sinistre Retailleau lance ses rafles contre les exclu·e·s, voici une proposition à la première personne, qui pourra peut-être nourrir quiconque souhaite s’organiser contre les frontières.
« En tout cas, ce qui surgirait spontanément, sous la pression des besoins immédiats, serait infiniment préférable à tout ce que l’on pourrait inventer entre quatre murs, au milieu des bouquins, ou dans les bureaux de l’Hôtel de Ville. »
– Kropotkine, La Conquête du pain
« "La spontanéité s’organise." C’est quelque chose que peu de dirigeants politiques et d’étudiants en politique reconnaissent. Ils ne le voient pas parce que l’organisation est avant tout dans leur tête ; ou mieux, le type d’organisation auquel ils sont habitués est leur seule conception de l’organisation. Pour eux l’organisation est quelque chose de fixe, permanent et saint. Il est structuré avec une équipe dirigeante identifiable séparée de la base. Et la forme la plus concrète que l’organisation prend dans l’esprit des dirigeants politiques est un parti politique. »
– Kimathi Mohammed, Organization and Spontaniety [lien vers le texte en anglais]
Alors que de plus en plus des organisations officielles qui ont eu une mainmise sur la lutte se montrent pour ce qu’elles sont – des opportunistes, des assoiffés de pouvoir et dans de nombreux cas des anti-insurrections actifs – je vois que certaines critiques des grandes organisations formelles deviennent plus répandues. Je ne pourrais pas être plus heureux·se que les individus refusent d’être des fantassins involontaires ou de la chair à canon pour des projets qui ne sont pas les leurs, qu’iels refusent d’avoir leur rage et leur désir de combattre assaillis par le réalisme socialiste de la terre vaine – le réalisme qui dit éternellement que nous devons attendre, que toute expression individuelle de rage et de désir n’est pas juste sans importance mais une entrave active à la lutte.
Je souhaite, pour de nouvelles personnes, étendre et approfondir cette critique des organisations formelles et peut-être pour des compagnon·ne·s qui ont été dans le coin depuis peu, l’actualiser. Puis je souhaite offrir une proposition aux individus pour qu’iels l’examinent, en discutent, et la prennent ou la laissent à leur guise.
Le problème avec les grandes organisations formelles et les partis politiques que les gens rencontrent le plus en ce moment est probablement qu’ils ont une logique interne extérieure à la lutte – d’abord et avant tout ils essaient d’assurer leur propre reproduction. Recruter plus de membres, mettre leur nom et logo en tête des manifestations pour obtenir plus de capital politique et se projeter en tant que « leadership » sur un mouvement. Ceci est évidemment en opposition avec les mouvements autonomes qui essaient de se développer selon leurs propres termes et de gagner des combats particuliers et au mieux être une gêne mais au pire peut saper l’énergie des mouvements.
Pour le voir, nous pouvons regarder les actions du Party for Suckers and Losers (PSL [Party for Socialism and Liberation, un parti communiste, Ndt.]) à travers le pays au fil des années, mais particulièrement il y a quelques jours aux manifestations anti-I.C.E. à Seattle où ils ont choisi de mettre en avant un candidat qui se présentait à un quelconque poste plutôt que des individus autonomes sans papiers qui ont du physiquement arracher le micro à PSL. Pire encore, on peut regarder les occupations d’aéroport en 2017 contre le muslim ban où à l’aéroport Sea-Tac des personnes occupaient l’aéroport empêchant les gens d’être expulsé·e·s. Socialist Alternative et leur figure de proue à l’époque Kshama Sawant a déclaré prématurément la victoire, ont dit aux gens de rentrer chez elleux et de venir au rassemblement de Socialist Alternative à Seattle le lendemain, absolument contre les demandes des avocats des personnes sur le point d’être expulsées. SAlt est parti et a pris avec eux une grande partie de la foule et celleux qui sont resté·e·s n’étaient plus en grand nombre, et alors la police les a attaqué·e·s et dispersé·e·s.
Pour réitérer, les grandes organisations formelles ont leur logique propre qui est souvent contraire et activement opposée à la lutte autonome, où elles essaieront de coopter des mouvements pour se faire mieux voir, paraître plus fortes, plus importantes qu’elles ne le sont en réalité car elles se disputent une place à la table du pouvoir.
D’une façon similaire, les grandes organisations se méprendront pour la lutte. Elles font de leur mieux pour détourner le discours et les idées populaires de « que pouvons-nous faire ? », de penser, discuter, préparer et agir ensemble par nous-mêmes vers la nécessité de rejoindre une organisation – leur organisation. Elles traiteront les gens d’indiscipliné·e·s, de ne pas être stratégiques, organisé·e·s pour tuer le développement de l’auto-organisation autonome au berceau – le type d’organisation qui menace leur pouvoir. D’autre part, être une grande organisation visible avec des dirigeants facilement identifiables met la pression sur eux pour ne pas devenir trop radicaux de peur d’être confrontés à l’appareil répressif de l’État, donc ils doivent essayer de se ressaisir, contrôler et diffuser l’énergie combative des mouvements autonomes au devant desquels ils essaient de se positionner. Ils confondent leur propre sécurité et leurs chaînes avec celles du mouvement et en essayant de retenir l’énergie destructrice des exploité·e·s et des dépossédé·e·s, ils jouent le rôle de l’opposition contrôlée et fidèle pour le jeu mis en place par nos ennemis.
Je souhaite ajouter une mise en garde ici que, bien qu’il soit facile et important de viser ces grandes organisations socialistes, des anarchistes n’ont certainement pas été exemptes de ces dynamiques. Nous aussi, nous sommes parfois tombé·e·s en confusion sur toute une lutte ou nous sommes livré·e·s à des manœuvres politicardes sous une forme ou une autre. Et nous aussi, dans le passé, avons construit de grandes organisations formelles. Pas pour faire remonter une vieille histoire mais c’est une leçon à répéter – celle de la trahison de la CNT pendant la guerre civile espagnole, qui devint un organe de l’État républicain et l’a aidé à écraser les sections pro-révolutionnaires des anarchistes et l’auto-organisation autonome des paysan·ne·s et ouvrier·ère·s qui ne voulaient pas abandonner ce qu’iels avaient gagné. Pour paraphraser le vieux Malatesta – nous ne voulons pas émanciper le peuple, nous voulons que le peuple s’émancipe. Mais tout autant, nous devons nous souvenir que – si « le peuple » existe – nous ne sommes pas en dehors de lui mais nous sommes tout autant qu’il est.
Il y a plus que je pourrais aborder dans cette critique – comment ces organisations renforcent la division du travail, comment elles amènent les individus à s’identifier à l’organisation plutôt qu’à leur propre lutte, comment elles créent une fausse séparation entre les individus et les mouvements, comment les organisations avec un attrait de masse dilueront les idées, les discours et les objectifs, comment elles forment les gens à ne pas prendre d’initiative, etc. D’autres ont écrit plus en profondeur sur ce sujet et je laisserai des liens plus bas.
Une proposition de coordination
« Si la question n’est plus de comment organiser les gens pour la lutte, elle devient comment organiser la lutte. Nous pensons que des archipels de groupes affinitaires, indépendants les uns des autres, qui peuvent s’associer selon des perspectives partagées et des projets concrets de lutte, sont la meilleure manière pour passer directement à l’offensive. Cette conception offre la plus grande autonomie et le plus large champ d’action possibles.. Dans le cadre de projets insurrectionnels, il est nécessaire et possible de trouver des manières de s’organiser informellement qui permettront la rencontre entre des anarchistes et d’autres rebelles, des formes d’organisation qui ne sont pas destinées à se perpétuer, mais sont orientées vers un but spécifique et insurrectionnel. »
– Anonyme, « Archipel – Affinité, organisation informelle et projets insurrectionnels »
Alors, si ce n’est pas de grandes organisations formelles, qu’est-ce que je suggère ? À un niveau de base, le développement de l’initiative individuelle, la pratique de la discussion et de la réflexion, ainsi que la formation de groupes affinitaires fluctuants et agiles.
L’initiative individuelle est facile à expliquer, mais difficile à mettre en pratique surtout pour des gens qui ont été largement formé·e·s à la soumission. Mais dans chaque révolte, celle en cours inclus, ça revient au premier plan car les gens voient des choses qui doivent être faites et les font. Cela doit simplement être encouragé et cultivé.
Mais en parallèle, nous devons encourager et cultiver la discussion et la réflexion. Même dans les émeutes il y a des temps morts où les gens peuvent discuter, même dans des situations à haute intensité il y a quelques moments où les gens peuvent se réunir, jeter un œil, discuter de plans et des possibilités. Ensuite, dans l’après, nous prenons le temps de réfléchir. Qu’est-ce qui s’est bien passé ? Qu’est-ce qui s’est mal passé ? Sachant et ayant vécu ce que nous avons fait, que ferions-nous différemment la prochaine fois ? Cela devrait être une pratique réflexive d’auto-réflexion, d’analyse et de prise de décision individuelles-collectives.
Ensuite, le dernier morceau – les groupes d’affinité fluctuants et agiles. Des petits groupes de compagnon·ne·s qui s’associent sur des bases de confiance et d’analyse partagées pour intervenir intentionnellement dans la lutte. Peut-être qu’à un moment et un endroit particuliers, iels viennent en tant que combattant·e·s avec des outils supplémentaires, des masques et des fournitures défensives à partager avec les gens, peut-être qu’iels viennent en tant que médecins, peut-être qu’iels se concentrent sur la production et le partage d’analyses sous forme d’affiches et de tracts, peut-être que pendant que les forces de l’ordre sont concentrées dans un endroit, iels décident d’être ailleurs. Peut-être qu’iels font tout cela ou rien de tout cela. Je dis fluctuants parce que l’affinité est fluctuante et les individus se déplaceront et devraient passer d’un groupe à l’autre au fur et à mesure que le réseau d’affinité grandit et change.
Ensuite, nous devons parler d’une coordination plus large à travers le temps et le territoire. Actuellement, beaucoup de gens expérimentent déjà cela déjà de différentes manières et formes et je pense que celles-ci devraient être reconnues pour ce qu’elles sont – les tchats où les gens discutent et se coordonnent, les appels autonomes à l’action auxquels les individus, équipes et réseaux d’affinité choisissent de répondre. Je souhaite ajouter quelques outils supplémentaires à l’arsenal.
Les outils dont je m’apprête à discuter sont orientés vers le développement de multiples fédérations libres d’individus et de groupes d’affinités qui se réunissent et se séparent en tant que nécessité à la lutte.
À cette fin, nous pouvons parler de réunion intentionnellement privée entre des personnes et des groupes qui ont une certaine connaissance les un·e·s des autres – que ce soit des relations directes ou des relations en réseaux. Ils sont utiles pour discuter de plans plus spécifiques et coordonner et partager des ressources.
Il y a des assemblées plus ou moins publiques qui sont mieux utilisées pour faire des discussions stratégiques plus larges, des gens venant déjà avec les plans et projets auxquels les gens peuvent se brancher, et partager des informations entre groupes et individus. Les assemblées qui essaient de former un consensus, de faire des plans ou des décisions spécifiques finiront par ne rien faire.
Il y a des spokescouncils [sorte de conseils de délégué·e·s/mandaté·e·s, Ndt.] où des individus et des groupes se réunissent pour coordonner divers plans autour d’un objectif – comme peut-être mettre un bâtiment fédéral particulier à l’arrêt. Habituellement, une seule personne de chaque groupe parle, iels partagent les soutiens disponibles, généralement ce qu’iels vont faire et toute demande d’approvisionnement. C’est très orienté logistique, mais aussi pour s’assurer que les combattant·e·s et les pacifistes ne se marchent pas sur les pieds.
Ensuite, bien sûr, il y a le partage d’analyses et de débats sur des sites de contre-information – comme celui-ci ! – ou des publications hors-ligne diffusées au sein d’espaces et de mouvements. Un exemple vraiment intéressant de ça était, pendant le blocus ferroviaire de 2016 à Olympia, une publication spécifique à la lutte appelée The Olympia Communard qui circulait et les gens y contribuaient avec leurs pensées et idées. De même, pendant beaucoup d’occupations forestières, des zines étaient généralement publiés.
Bien, pour conclure, je tiens à réitérer que les organisations formelles sont une impasse et nous duperont et aux organisations formelles je dis que nous devrions d’une part encourager le développement continu de l’auto-organisation autonome basée sur la construction de relations directes dans la lutte ; encourager le développement de l’initiative individuelle, la discussion continue, l’analyse et la réflexion pour le développement des groupes d’affinité visant à la coordination plus large de fédérations horizontales de groupes d’affinité.
Que mille groupes d’affinités fleurissent et mettent le feu à l’I.C.E. !
Lectures complémentaires [liste du texte d’origine]
Affinity
[en anglais]
[en français]
Individual Projectuality and Affinity
[en anglais)
Parcours autonome et discussion permanente
dans Quelques réflexions suite à la lutte contre la construction d’un nouveau centre fermé
A Project of Liberation
[en anglais]
No More Organizers
[en anglais]
The Insurrectionary Act and the Self-Organization of Struggle
[en anglais]
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