Être « allié des féministes »

Un extrait d’un article trouvé ici : http://scenesdelavisquotidien.com/2019/03/21/etre-allie-des-feministes/

Tout homme est le produit de la société patriarcale, et parce qu’il en bénéficie, il en est aussi la force de l’ordre. C’est donc sans surprise que peu d’hommes ont un engagement proféministe. Mais régulièrement, j’ai été interpellé par d’autres hommes pour savoir comment agir. Je vais donc ici donner quelques directions que j’ai moi-même prises ou que je prends toujours et qui proviennent de consignes de féministes. Je pense en particulier aux consignes des féministes matérialistes ou radicales ; car ce sont leurs éclairages des phénomènes sociaux qui m’ont forcé à me remettre en question le plus profondément. Mais au préalable, j’ai été orienté vers elles grâce à la force et la confiance d’autres féministes qui m’ont intimement bousculé[2]. Je leur suis énormément redevable, à elles et à l’ensemble des féministes.

Comme je l’ai dit précédemment, il est selon moi crucial de répondre aux attentes des féministes. Parmi ces attentes à l’égard des hommes, il y a évidemment celle que nous changions et que les hommes engagés parlent « à partir de leur place, et de leur place » (Delphy, 2013 :8). Il y a là à mon sens un leitmotiv qu’aucun homme ne devrait oublier s’il souhaite s’engager : travailler à partir de sa place et sur sa place, comme membre de la classe dominante. Cette exigence de travailler à partir de notre place, et sur notre place, faite à ceux d’entre nous qui réfléchissent et agissent sur le genre, n’est pas sans raison : les féministes connaissent nos réflexes à parler de leur place, et à leur place. Et l’application par les hommes de ce type d’exigences posées par des féministes, et obtenue souvent après moult résistances, nous change en soi.

L’apprentissage auprès des féministes
Pour ce qui est de changer, je vais commencer ici par la base : le fait d’apprendre des féministes. Apprendre des féministes peut sembler basique tellement le niveau est individuel, mais je considère néanmoins ce point comme essentiel et qu’il est à reconduire le plus souvent possible. L’apprentissage auprès des féministes est ce qui constitue une boussole pour nous changer en profondeur. Il s’agit d’apprendre sur la condition des femmes, sur l’ampleur des inégalités et violences, et de ne pas minimiser ou ignorer le sort de plus de 50% de la population mondiale.

L’apprentissage auprès des féministes dont je parle s’entend comme une démarche assidue, volontariste et continue, avec de régulières piqûres de rappel. Nous ne devons pas attendre que cela nous tombe tout cuit et que les féministes nous offrent leurs livres favoris ou des liens internet. Nous ne devons pas chercher à obtenir des cours particuliers, alors même que les ressources qui remettent en question notre pouvoir sur les femmes sont publiquement accessibles.

Mais, évidemment, il ne s’agit pas de consommer de la littérature, des conférences ou des podcasts, ni de s’enorgueillir de le faire. Il ne s’agit pas d’apprendre comme on étudie les plantes ou une espèce distincte de la nôtre ; de façon extérieure, distanciée. Nous faisons partie des problématiques que les féministes soulèvent. Comme l’ont montré les féministes matérialistes, les sexes ne sont pas des catégories naturelles, les classes de sexe n’existent pas en dehors de leur relation. Il y a un rapport dialectique entre le masculin et le féminin, entre la virilité et la féminité, entre les hommes et les femmes. Colette Guillaumin écrit : « Lorsque nous parlons de femmes et d’hommes, il s’agit de groupes sociaux qui entretiennent une relation déterminée, et sont constitués au sein même de cette relation par des pratiques spécifiques » (Guillaumin, 1992 :102). Et ce sont l’exploitation, l’appropriation, le contrôle, les violences subies par les femmes et les institutions sociales dirigées par les hommes qui garantissent et donnent du sens aux groupes femmes et hommes. Tous les hommes, individuellement et collectivement, nous faisons partie de ce problème.

Si je parle d’apprentissage auprès des féministes, c’est parce qu’il y a une certaine méthode à appliquer : les hommes doivent transposer les constats et les réflexions féministes pour leur place d’homme, en ayant une vigilance à ne pas dénaturer les messages et l’analyse.

Pour illustrer le processus de transposition dont je parle, j’aimerais citer ici Patrizia Romito dans son livre Un silence de mortes. Elle écrit à propos des violences systémiques : « il s’avère que tous les hommes, y compris ceux qui ne sont pas violents, récupèrent certains avantages de la violence exercée contre les femmes. Avantages tels que facilité d’accès aux relations sexuelles, gratuité des services domestiques, accession privilégiée à des postes de travail plus élevés ou mieux rétribués, avec tous les bénéfices psychologiques qui en découlent » (Romito, 2006 :54).

Il va de soi que lorsqu’on a compris la logique vis-à-vis des violences, on peut aisément l’appliquer à l’ensemble des thématiques traitées par les féministes : Si la pornographie et le système prostitutionnel affectent l’ensemble des femmes, en quoi facilitent-elles mon quotidien ? et pourquoi je pourrais m’en satisfaire ? Si le lesbianisme est une résistance à la domination masculine, l’homosexualité masculine peut-elle l’être aussi ? Si les mouvements masculinistes s’opposent et ralentissent les féministes, comment faire en sorte que mes agissements n’aient pas cet effet ? Et ainsi de suite, pour l’accaparement de l’espace, la contraception, les tâches domestiques, etc., etc…


publié le 3 avril 2019

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