Bilan de fin pour la SQUAL

Origines :

Octobre 2021, on est 2 à se rencontrer dans la manif de la rentrée syndicale. C’était à chier, on avait la rage et envie d’en découdre avec tout le monde. Au pas, au rythme du camion CGT, on en vient à discuter et à nous trouver des points communs : dans nos vécus à Lille mais surtout idéologiques. On est anarchistes, et plus que tout : nous sommes « queers ». Et maintenant ? On rejoint la Fédération anarchiste ou l’UCL ? Aucune de ces deux options nous a fait bander. Mais on voulait faire des trucs ensemble alors on s’est revues. Et pas seules.

C’est là qu’on a commencé à traîner au centre LGBT. Si les anciens du lieux vantaient un passé radical et révolutionnaire, on retrouvait pas grand-chose de tout ça et on avait le seum. Deux problèmes s’étaient imposés à nous. L’anarchisme ici n’avait rien de très queer, et les milieux queer rien de très anarchistes. La Section Queer Unitaire Anarchiste Lilloise (SQUAL) voit le jour.

On s’entasse dans nos studios, on fait des réus dans des parcs ou dans des bars, n’importe quel endroit où on peut squatter entre autre. C’était un enfer : il fallait qu’on se comprenne, qu’on parle le même langage en ayant des profils sociaux divers, des parcours de transition jeunes et différents, des vécus militants qui n’avaient rien à voir. Le terme affinitaire sonnait doucement à nos oreilles. Et nous avons fini par trouver des objectifs. On avait plein d’idées, plein de terrains qu’on voulait investir pour les transformer. Mais le manque d’informations sur le milieu militant lillois, le flot incessant de politique qui submergeait nos vies et emportait avec lui toutes les énergies en ont décidé autrement. Bref, on risquait déjà d’éparpiller nos forces parce qu’on ne les concentrait pas.

Ce qu’on a fait :

Notre premier objectif était de nous former politiquement. Si on savait ce qu’on voulait, on ne savait pas comment. On a lu, on a débattu, on a tiré des conclusions parfois hâtives et tronquées de ce qu’on faisait. Mais on s’est armé.es pour militer. On a découvert la répression à la dure, on a découvert la cyber-sécurité en conséquence, on a découvert des outils qui nous permettaient de lutter. On a appris à écrire, à faire des tracts, des discours aussi, des banderoles, à bouger en tant que groupe en manif, à établir des trajets sécurisés. On a lutté avec plein de monde, de plein de groupes différents, dans un tas de lieux. On a lutté contre les fachos, contre les flics, contre le gouvernement, contre l’état et contre les autoritaires.

On a pourri un quartier de fachos par seum, à la bombe et sous des cagoules. Le mot d’ordre c’était « Tu colles chez nous ? On tag ta baraque et celle de tes voisins ». On a manifesté de nuit pour un 8 mars mémorable, loin des défilés d’orgas républicaines moisies. On a tenu des blocs à quelques paires de bras. On a fait apparaître nos couleurs roses et noires dans des manifs syndicales. On a échappé aux keufs un bon nombre de fois, on a été gazés, coursés, frappés, insultés au moins autant. On a imprimé des zines, des stickers qui circulent encore, qu’on peut trouver à Londres ou à St Petersbourg et partout en France. On a organisé le premier cortège queer handi de Lille pour un 1er mai, on s’est battu avec les insoumis et leur musique de merde. On a servi de pseudo sécurité pour un TDOR. On a organisé des permanences au centre LGBT pour parler politique dans une volonté de proposer des formations et de changer le lieu. On a zbeulé la conférence de Caroline Eliacheff bien comme il faut. On a eu un compte twitter nul avec des visus pas ouf. On a signé des communiqués avec un tas d’orgas qu’on pouvait pas encadrer.

Mi-2022, après des mois de lutte merdiques, on était dépité du peu de visibilité et de représentation qu’avaient nos idées dans le grand bain lillois. Alors on a impulsé l’organisation d’un évènement public qui se déroulerait sur un week-end : la Rentrée Queer Anarchiste, qui deviendrait plus tard la Rentrée Anarchiste. On a été rejoins par plein d’autres organisations comme la Fédération Anarchiste ou la CNT mais pas que. On considère encore ça comme une de nos plus grosses réussites puisque même si nous ne sommes plus à la manœuvre, l’évènement existe encore et a eu droit à une troisième édition en 2024.
En bref, on a fait un paquet de trucs en deux ans. Ça partait dans tous les sens, on a jamais pu souffler ni vraiment prendre du recul. C’est peut être pour ça qu’aujourd’hui on a tous-tes pris des chemins différents.

Impacts :

On n’a pas atteint nos objectifs lorsqu’on a arrêté de bouger en tant que banc de requins. Le centre LGBT était resté une espèce de bureaucratie nulle et gérontocratique. Le milieu anar lillois était resté un amas de cissexuels plein de bonne volonté mais qui se donnent encore aujourd’hui trop peu les moyens de leurs prétentions.

Mais la SQUAL a été indirectement le point de départ de tellement de trucs bien plus cools et qui poursuivent d’une certaine façon ses objectifs encore aujourd’hui. On parlé d’anarchisme dans le centre LGBT, on a fait en sorte que cette possibilité existe dans son organisation et que d’autres puissent tendre vers l’horizontalité et un meilleur fonctionnement. D’autres dont l’action porte aujourd’hui ses fruits pour le mieux à notre avis.
Même si on existait pas vraiment dans la tête des gens, on a fait plein de choses avec plein de monde. Si bien que nos propositions et modes d’actions sont restés dans beaucoup de groupes et organisations actives aujourd’hui.
Si la SQUAL n’existait déjà plus et qu’on bouge tous-tes dans des milieux différents, on reste bien contents de reprendre nos bonne vieilles habitudes en détournant un cortège de la Pride pour partir en sauvage.
Les luttes trans sont plus actives que jamais. Et ce qu’on a pu y faire auparavant a infusé et permis de belles choses comme les assemblées de lutte trans lors de la mobilisation contre la loi Eustache Brinio.

Que l’on se soit organisé-es ensemble et qu’on soit encore actif-ves à des endroits différents a encore aujourd’hui un impact non-négligeable sur le petit monde militant lillois et pas que. On a appris ensemble, on a bougé ensemble, on a douillé ensemble et même si ça nous arrive de nous étriper sur des sujets futiles, on évolue par des chemins différents vers une même direction.

On savait pas grand-chose, on avait l’impression d’être seul-es dans notre délire, on avait pas beaucoup de bras, on a fait avec les moyens du bord. On a eu la haine quand ça s’est arrêté, l’impression d’avoir échoué. Mais avec du recul, on a eu bien plus d’impact que ce qu’on voulait bien reconnaître. Et même si c’était bancal, pas très juste et sans réelle auto-discipline, on reste d’accord aujourd’hui pour dire qu’il valait mieux faire ça que rien. Et on était pas des militant-es professionnel-les, on était des jeunes cons avec le seum et qui essayaient de mieux comprendre leur monde pour le changer.

On était que des petits requins dans un grand océan.

On a viré syndicalistes, autonomes, insurrectionnalistes, zadistes, communistes libertaires ou encore queer nihilistes. On écrit dans des journaux militants et locaux, on fait toujours des réunions chiantes. On est toujours en AG de lutte, dans les manifs, avec des mégaphones ou des cagoules. On bouge avec des gens qui bossent, des étudiants, des chômeurs, des sans papiers, des squatteurs. On s’organise aussi avec des gens qui s’en foutent, des gens qui ont baissé les bras et d’autres qui ont encore espoir. On a bougé et on bougera encore.

Mais on vient de la SQUAL.


publié le 23 mai 2025

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