Crimes fascistes et état d’urgence : un silence infini ?

Crimes fascistes et état d’urgence : un silence infini ?

Après deux ans d’état d’urgence, le dispositif justifié par l’anti-terrorisme n’en finit plus d’être invoqué pour museler la contestation. Depuis les manifs contre la COP 21 en 2015 jusqu’à la dénonciation des crimes policiers en 2017, en passant par le mouvement contre la loi travail en 2016, les perquisitions, arrestations, assignations à domicile et interdictions de rassemblements, ont permis à l’État d’intimider de tout autres ennemis que les islamistes. Au mois de novembre, les dispositions de l’état d’urgence vont entrer dans le droit commun. Par ces temps de crise sociale, l’exemple de Lille est éloquent quant aux conséquences qu’une telle loi peut avoir sur les luttes. Depuis le printemps dernier, un scénario digne des pires séries policières montre que la réalité dépasse parfois cruellement la fiction. Et que l’état d’urgence est un outil idéal pour que tout le monde demeure spectateur devant les pires saloperies.
Les multiples révélations sur un groupe de l’extrême-droite lilloise n’en finissent pas de mettre en évidence les fausses vertus de la mécanique répressive. A Lille, il est désormais notoire que la police et la gendarmerie ont protégé des militants d’extrême droite vendeurs d’armes, qui ont fourni à des islamistes une partie de l’attirail qui a servi aux attentats de novembre 2015. Ces mêmes attentats légitimant l’application d’un état d’urgence qui sert lui-même à réprimer celles et ceux qui dénoncent cet engrenage, la boucle est bouclée.
Trois affaires s’entremêlent ici, qui apporte chacune leur lot de pourritures et de sordide. D’abord un trafic d’armes vieux de plusieurs années, organisé conjointement par l’extrême-droite et les flics. Un indicateur de la gendarmerie, de la police nationale et des douanes est aujourd’hui en prison pour avoir participé à ce trafic. Il n’est autre que Claude Hermant, membre actif de l’extrême droite locale, qui animait la maison de l’identité flamande où se côtoyaient, comme aujourd’hui encore dans le bar La Citadelle, militants identitaires, néo-nazis et plusieurs flics de la métropole lilloise. C’est là que s’échangeaient à l’occasion des infos sur les militants syndicaux, antifascistes ou libertaires, et parfois même leurs coordonnées relevés lors d’interpellations.
Deuxième affaire, au milieu de ce gros trafic de centaines d’armes, certaines ont été vendues à Amédy Coulibaly et ont servi lors de la tuerie de l’Hyper Casher en novembre 2015. Parmi les trafiquants de cette affaire, au côté d’Hermant, le militant d’extrême-droite Antoine Denevy.
Troisième affaire, une série de corps retrouvés dans la Deûle, qui avait tout l’air d’une série de meurtres, mais que la PJ de Lille a étrangement classé sans suite en 2014. Les familles et proches des noyés ne croyaient pas à la version policière et ont évoqué à plusieurs reprises un ou plusieurs crimes à caractère homophobe. La police a refusé de recevoir leurs dépositions ou leurs plaintes. Elle a égaré certains dossiers. Elle a dissimulé des résultats d’autopsie qui révèlent parfois la présence de traces de coups et des blessures, elle a conclu à des suicides ou des morts accidentelles, elle a dissuadé un journaliste d’enquêter. Depuis, la responsabilité de trois proches d’Hermant, dont Antoine Denevy, a été révélée pour au moins un meurtre, celui d’Hervé Rybarczyk en novembre 2011. Ils ont été dénoncés en mars 2015 par d’autres nazillons. Il faudra pourtant deux ans pour que le juge chargé de l’affaire auditionne les suspects, en avril 2017. Depuis, les trois sont en préventive.
Le rapprochement de ces trois affaires laisse peu de doutes sur les raisons pour lesquelles la police et la justice se sont appliquées à étouffer l’affaire des noyés de la Deûle et à masquer la responsabilité des nazillons dans le crime d’Hervé pendant plus de cinq ans. Le tout a des allures de fiction, et pourtant, les exactions sont bien réelles. La collusion entre la police, des services de l’état et l’extrême droite radicale sont aujourd’hui publiquement avérés. A Lille, des néo-nazis indicateurs de la police et de la gendarmerie ont eu un permis de tuer en échange de leurs services rendus. Ils ont fourni des armes aux islamistes de Daesh pour les tueries de novembre 2015 qui ont motivé l’instauration de l’état d’urgence. Et c’est au nom de l’état d’urgence qu’il est désormais impossible dans cette ville de dénoncer ces collusions et les meurtres qu’elles ont engendrées.
En mai 2017, un appel à rassemblement a été lancé pour condamner publiquement les meurtres perpétrés par les nervis d’extrême droite et dénoncer les relations étroites entretenues entre différents services de la police lilloise, le parquet et ces assassins. Le rassemblement a bien sûr été interdit au prétexte de l’état d’urgence. Un dispositif policier hors-norme a été déployé pour l’empêcher : nassage, intimidations, photos et contrôle d’identité systématiques à proximité du lieu de rendez-vous, confiscation de matériel, arrestation de plusieurs militants antifascistes. La volonté d’intimider était évidente et le message a été donné : fermez vos gueules ou ça va barder !
A Lille et partout ailleurs en France, l’état d’urgence va devenir permanent, ordinaire, et permettre de faire taire toute contestation politique et sociale. La situation locale est inédite, mais elle est à l’image de ce qui va désormais pouvoir s’imposer partout : le silence face à toutes les saloperies de l’État. Bientôt, ils auront toutes les armes du droit pour nous faire taire, indéfiniment.

Contre l’état d’urgence permanent, rendez-vous à Lille le 30 septembre, 17h, place Rihour.


publié le 29 septembre 2017

copyleft Copyleft Indymedia (Independent Média Center). Sauf au cas où un auteur ait formulé un avis contraire, les documents du site sont libres de droits pour la copie, l'impression, l'édition, etc, pour toute publication sur le net ou sur tout autre support, à condition que cette utilisation soit NON COMMERCIALE.
Top