Samedi 8 janvier 2022, plus de 2000 personnes se retrouvent dans la rue à Lille pour dire non au pass vaccinal, au pass sanitaire, et aux mesures liberticides prises sur l’autel de la techno-santé sécuritaire. La manifestation s’est déroulée sous une pluie qui augmentait à mesure que le cortège progressait dans la ville. On relève la présence de nombreux groupuscules identitaires qui profitent d’une cause juste pour juste apporter leurs idées réactionnaires. Ils se sont faits dûment jarter de la manif, mais ils ont eu l’occasion de faire usage de gazeuses à main (les mêmes que celles des flics) pour se « défendre » (nous y reviendrons plus tard). Les flics ont créé un cordon pour les protéger et les laisser partir sereinement. Rien de neuf à Lille.
Ça fait 2 jours que le pass vaccinal a été voté par l’Assemblée Nationale française. S’il est important d’avoir une stratégie face à la pandémie, celle pour laquelle les décideurs ont opté est malheureusement l’infantilisation et le tout-répressif. À l’heure où 3% de la population est positive aux test PCR au antigéniques, où le taux d’incidence est le plus haut jamais atteint, à l’heure où plus de 90% de la population vaccinable a reçu au moins une dose de vaccin, le gouvernement se focalise encore sur la partie non-vaccinée, pourtant déjà bien ostracisée depuis l’avènement de cette stratégie. Qu’on se le dise, la stratégie vaccinale a très clairement porté ses fruits, notamment pour éviter les hospitalisations, les formes graves, et les décès. Malgré le nombre de contaminations, les chiffres des hospitalisations ne dépassent pas ceux des vagues précédentes, et sont encore bien en dessous des celles de la première vague du printemps 2020. On ne peut que s’en réjouir (même si cela a permis, dans le même temps à quelques actionnaires des groupes pharmacologiques les plus puissants de s’enrichir très largement). Mais, comme les expert.e.s les disent (notamment sur des échelles internationales), se limiter à la vaccination pour élaborer une stratégie sanitaire contre une pandémie est très insuffisant - nous dirons que c’est criminel. Aussi, les vaccins sont-ils bien répartis à l’échelle planétaire ? Non. Les brevets sur les vaccins sont-ils levés pour permettre une production libre dans tous les pays ? Non, les grands groupes industriels continuent de s’empiffrer comme des goinfres jamais rassasiés et jubilent à mesure qu’on annonce l’arrivée de nouveaux variants.
Pour la nouvelle année, Macron fait ses vœux aux français. Ceux de continuer à pourrir la vie aux non-vacciné.e.s (il les « emmerde »), vous l’avez probablement entendu. Mais, surtout, il prépare sa stratégie pour pourrir la vie à une partie bien plus grande de la population, dès juin 2022, s’il est réélu à la Présidence de la République Française. En effet, détruire le code du travail, le droit au chômage, le droits à des retraites décentes (par répartition plutôt que capitalisation), le droit égalitaire à l’éducation, c’est tout un programme bien loin des préoccupations sanitaires présentées comme essentielles qui occupent la majorité du temps d’antenne dans les médias mainstream. La crise ne l’aura pas du tout fait sortir de son projet initial : celui de servir la soupe à l’oligarchie qui tire les ficelles (les entreprises du CAC40, les grands patrons, la noblesse ultra-riche persistante dans l’hexagone). Durant son mandat, les inégalités n’auront eu de cesse d’augmenter, alors que les quelques-uns les plus riches sont monstrueusement plus riches, et l’immensité des plus pauvres sont férocement plus pauvres.
Pour toutes ces raisons, la manifestation du 8 janvier appelait non-seulement à lutter contre la politique sanitaire en vigueur, mais aussi pour la justice sociale, climatique, démocratique. De bien nobles causes face aux vils desseins du monarque à l’Élysée. « Macron, Macron, on t’emmerde » devient le nouveau slogan de manif. Bienvenue en 2022, année de lutte.
Cela fait depuis l’été et l’arrivée du pass sanitaire que les manifestations en France ont pris une tournure singulière. Des milliers de gens se retrouvent dans la rue, parfois battant le pavé pour la première fois. Dans le même temps, d’autres forces s’immiscent dans les cortèges. Plusieurs fois, nous avons révélé la participation de groupuscules identitaires dont les objectifs sont aussi bien éloignés de la justice sociale, climatique ou démocratique. Il s’agit notamment de Civitas, un parti de droite catholique intégriste qu’on connaît bien dans le Nord depuis La Manif pour Tous (2012). À leur côté, l’Action Française, les royalistes qui veulent le retour du roi, sans les hobbits. On les reconnaît aux fleurs de lys qu’ils arborent ostensiblement. Non-loin, Génération Identitaire, qui militent pour protéger l’identité française, mais aussi le patriotisme européen. Ce groupe a été dissout l’année passée par le Ministère de l’Intérieur (qui voulait montrer qu’il sait taper autant sur la droite que sur les musulman.e.s ou sur la gauche). Malgré ça, on se doute qu’il se reconstitue çà et là, dans des formes qu’on n’imagine pas encore parfaitement. Ce qui est certain c’est qu’ils ont 2 terrains de jeu : d’un côté, le bar identitaire "La Citadelle", repaire de flics et de fachos où on ne rentre pas si on n’a pas de carte d’identité française ou un teint caucasien. Et, d’un autre, il y a ces mêmes manifestations, parce que la majorité des manifestant.e.s ne leur dit pas directement « dégagez » comme ça a été le cas depuis 10 ans. Pourtant, cette droite-là est bien à combattre.
Lille, 08 janvier 2022. Devant le théâtre Sébastopol, la BAC protège des fachos qui viennent de s’exfiltrer.
Aujourd’hui, après un échange mal-intentionné entre quelques manifestants au croisement de la rue des Postes et de la rue Solférino, des coups sont partis. Un groupe d’une vingtaine de personnes identifiées comme faisant partie de l’Action Française ou des jeunesses identitaires pro-Zemmour s’est fait pousser par une partie importante de la manif. Un des fachos sort une gazeuse et asperge la tête de quelques personnes. Outil de défense que tout le monde garde naturellement dans son sac à dos quand il va dans une manifestation pacifiste (ironie). Au final, ils se font courser jusque devant le théâtre Sébastopol où les flics se dressent en cordon, matraque télescopique à la main. Les identitaires sont chassés, désormais hors de portée. La foule présente à ce niveau scande « La police protège les fascistes ! ». On voit quelques gaillards revenir vers le cortège les mains dans les poches, pas du tout inquiétés. La fin de la manif se passe sans encombres, au-delà de la présence outrancière d’une quantité impressionnante de flics (au moins 15 camions de CRS suivent la manif tout au long de son parcours).
Autre groupe en présence qui se caractérise par son aspect informel : "La Rose Blanche". Ça se présente avant tout comme des stickers amusants, mais tous estampillés d’un QR-code et d’un lien vers un canal Telegram (une appli de messagerie "sécurisée" créée en Russie et basée à Dubaï). Parmi les slogans : « Éteignez votre TV, utilisez votre cerveau », « Refusez d’obéir, c’est un ordre », ou encore « Vous n’êtes pas seul ». Amusants un temps, puis beaucoup moins quand on sait que La Rose Blanche est une branche européenne de "Q-Anon". Mais si vous savez : ces gens très chelous qui ont envahi le Capitole états-unien il y a très exactement un an (janvier 2021). Dans leur sillage, des idées rétrogrades et des théories complotistes très fumeuses (on sait tou.te.s que la seule qui n’est pas fumeuse c’est celle de la bourgeoisie qui organise la démocratie, l’économie et l’information pour conserver ses privilèges). Organisés sur Telegram, ils incitent à aller « se renseigner » sur d’autres médias que BFHaine ou CNews. Mais ceux dont il font la pub sont ni Médiapart ou Blast, ni CQFD ou La Brique : c’est France Soir, TV-Libertés ou "Q-Actus". Non, La Rose Blanche et son confusionnisme n’ont rien à faire dans des manifs qui défendent la justice et la démocratie directe.
Manifestation du 28 août 2021, Lille, Place de la République. Une femme porte une casquette « Trump 2020. Keeping America Great ! »
Mais pourquoi c’est là ? Les créateurs du groupe optent pour une stratégie de la confusion. « On est ni de droite, ni de gauche, on rassemble tout le monde » (d’ailleurs ça rappelle beaucoup un certain oligarque). Pour convaincre, ils font appel au « bon sens » (un autre élément de langage macronien) : sur un de leurs stickers, on peut lire « si le vaccin fonctionne, le pass sanitaire est inutile, si le vaccin ne fonctionne pas, le pass sanitaire est inutile ». Le syllogisme est facile, et ne prend pas en compte que la protection des individus est moins, pour le gouvernement, un objectif que le fait d’aligner toute la population sur une même stratégie sanitaire (attention, nous ne défendons pas ici non-plus le pass sanitaire qui est une belle merde liberticide paternaliste). Le « bon sens », c’est un terme qui est beaucoup repris par les membres de « Réinfo Covid » un collectif de citoyen.ne.s formé fin 2020, qui dit tout et son contraire (sur les masques, les vaccins, les médecines alternatives, le Pr Raoult…). Mais, si on cherche bien à comprendre ses intentions, il veut surtout lutter contre la stratégie sanitaire mortifère du gouvernement, ce qui peut paraître positif. Mais les ennemi.e.s de nos ennemi.e.s ne sont pas toujours nos ami.e.s, bien au contraire.
Plusieurs intervenant.e.s du film Hold-Up (2020), réalisé par un homme proche des mouvements catholiques intégristes, se sont retrouvé.e.s ensuite autour de l’association « Bon Sens », un sous-groupe de Réinfo-Covid. Dans leurs délires de recherche de la vérité vraie - comme s’il n’existait qu’une seule vérité - ils ramassent au passage, comme La Rose Blanche, un ramassis de conspirationnistes bien relous. Relous au point qu’on se demande si les complotistes ne sont pas eux-mêmes comploteurs tant ils donnent l’impression de manigancer dans leur coin. Résultat : ils s’ostracisent encore plus par rapport à 90 % de la population qui est vaccinée et qui ne les comprend plus trop. Leur analyse politique de la situation perd dans le même temps en richesse, martelés par les idées que les juif.ve.s comme Jacques Attali dominent le monde, que des gens organisent un "Nouvel Ordre Mondial", et que des sectes pédo-criminelles menacent nos enfants (autant que le vaccin d’ailleurs) : là-dessus, on n’invente rien, tout a été dit dans cette manifestation du 8 janvier.
Parmi la Rose Blanche, parmi Réinfo-Covid, des centaines de gens sont justes perdus. Pas approchés par les forces de gauche qui leur font la morale (trop universitaires pour comprendre que leurs conditions d’existence sont très très éloignées de cette population, trop campés sur leurs analyses « marxistes » pour comprendre qu’on peut être anti-capitaliste et apprécier manger à McDo ou avoir une grosse bagnole), alors c’est un boulevard pour les forces de droites sus-citées (Civitas, AF, GI, Q-Anon, Debout la France, Les Patriotes, UPR...).
Rassemblement contre le pass vaccinal, 9 octobre 2021, Lille, Place de la République. "La Rose Blanche" travaille sa rhétorique puritaine pour mieux faire passer sa propagande confusionniste.
Mais aujourd’hui, les (désormais) militant.e.s de La Rose Blanche vont plus loin dans l’expression de leurs idées. Un homme, dans les rangs de la manifestation, propose aux gens de coller des stickers sur leurs vêtements. Si les slogans paraissent doucement sympathiques, l’estampe « Rose Blanche » reste le point commun, sur les murs, sur les manteaux, dans les boîtes aux lettres, sur les photos... Aux forces qui nous lisent et qui veulent continuer à participer à ces manifs : refusez ce nom-là comme vous refusez les partis politiques qui cherchent à vous récupérer dans leurs rangs. En portant des autocollants de La Rose Blanche, on fait de la pub à la confusion. Créez vos propres autocollants, trouvez vos propres slogans, et libérez-vous de cette bannière morose.
En espérant, tout de même que 2022 soit explosif, pas un Capitole Bis, mais une vraie révolte de la base contre ceux et celles qui nous dominent : pour la démocratie directe, pour la justice sociale, contre les inégalités, contre le pouvoir de quelques-uns.
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PS : On pourrait aller plus loin dans l’analyse, et parler de la réappropriation des symboles de « résistance » dans les manifs (la marseillaise, le drapeau français, la croix de Lorraine, la "Rose Blanche"...), on pourrait aussi parler de la rhétorique usée du « réveillez-vous » employée par des gens qui ont certainement dormi très longtemps eux-mêmes (il ne sert à rien de pointer du doigt les « moutons », ça ne les fera pas plus devenir des loups), mais on pense qu’on a déjà bien entamé la question.
Voici un peu les sources qui nous permettent de dire toutes les infos émises ici :
La Rose Blanche : de l’extrême-droite à l’agonie populaire (Médiapart, juillet 2021)
Cartographie des confus et de l’extrême-droite qui rôde autour (Journal La Brique, automne 2021, page 12-13)
Le site Conspiracy Watch qui recense les groupuscules complotistes (mais qui est géré par un affreux républicain qui traîne avec Caroline Fourest et Christophe Barbier en criant à l’antisémitisme dès qu’on remet en question l’impérialisme à travers le monde)