« Aucun compromis n’est possible avec le pouvoir psychiatrique. Il faut le renverser, il faut l’abolir. »

[Prise de parole à la @prideradicale__ du 19 juin 2022.]

Alors que nos communautés ne cessent d’être jugées coupables, que nous sommes accuséEs d’être une menace, une épidémie, la lutte que nous menons pour nous soustraire à l’arbitraire du pouvoir médical et psychiatrique, pour que soient dépsychiatrisées nos identités queer, ne sera terminée que lorsque la psychiatrie sera abolie.

Nous avons assisté, dans nos communautés, à des stratégies de dépsychiatrisation des identités queer qui ont toujours consisté en retour à légitimer la psychiatrisation des identités fols et l’assujettissement des personnes fols au pouvoir psychiatrique et à sa violence.

Mais se battre ainsi pour que soient dépsychiatrisées nos identités queers, sans jamais revendiquer l’abolition de la psychiatrie ni remettre en question l’hégémonie du pouvoir médical, revient à s’organiser autour d’un axe d’oppression, et à reproduire les préjugés, les discriminations et les violences validistes, psychophobes et sanistes au sein de nos propres luttes et de nos communautés.

Les discours médical et psychiatrique qui nous oppressent ne sont pas impartiaux, ils sont structurés et traversés par des jugements de valeurs dictés par le pouvoir dominant cis hétéropatriarcal, raciste et colonialiste. Ils ont toujours assuré une fonction politique de contrôle social, fondé sur la norme en tant qu’instrument répressif, pour catégoriser, assigner, hiérarchiser, psychiatriser, criminaliser et condamner à l’illégitimité toustes celleux qui s’en écartent.

La conceptualisation de la "normalité" et les catégories de la santé, de la maladie, de la folie et du handicap sont structurées par des interprétations biologiques et psychiatriques qui n’ont jamais été neutres et immuables. Au contraire, elles font appel à des normes, à des assignations et à des hiérarchies de valeurs idéologiques et politiques instrumentalisées pour naturaliser des rapports de dominations illégitimes et des pratiques répressives et oppressives.

Enfermer les identités fols dans des catégories psychiatriques n’a qu’un but : pouvoir justifier l’enfermement et le contrôle social des fols mais aussi de toustes celleux assignéEs à la folie par le pouvoir dominant. Instrumentalisé par les institutions, agent complice de la morale prescriptive et de l’ordre social, l’appareil psychiatrique a ainsi servi les discours eugéniste et colonialiste, légitimé le système raciste dans son ensemble, hystérisé les femmes, criminalisé les personnes queer et pathologisé les personnes trans, intersexes, non-conformes dans le genre, homosexuelles, asexuelles et toutes celles dont les identités sont hors de la cishétéronormativité.

Si 80 pour 100 des femmes handicapées sont victimes de violences sexuelles, c’est aussi parce que ces discours médical et psychiatrique déshumanisent, qu’ils objectifient nos corps, qu’ils nient notre volonté qu’ils participent à déconsidérer notre parole quand elle n’est pas tout simplement tue et qu’ils fondent les préjugés qui font de nous, aux yeux de la société, des victimes idéales. Si le discours psychiatrique n’a aucune légitimité pour les identités queer, ils n’en a pour personne. Si la psychiatrie est dangereuse pour nous, elle l’est pour nous toustes.

L’institution psychiatrique n’est ni bienveillante, ni soignante. Sa violence n’a rien à voir avec l’indigence de ses moyens. Elle fait système. Les violences psychiatriques sont structurelles, institutionnalisées, déterminées par des lois et des politiques psychophobes et sanistes qui soutiennent un modèle rationnalisé d’emprise. Les fols et les psychiatriséEs sont tenuEs d’obéir aux injonctions de la psychiatrie, de subir ses méthodes coercitives de contrôle social et de surveillance conjuguées à la menace de l’hospitalisation. Internements sous contrainte, traitements sans consentement, privation de la capacité juridique, stérilisations et avortements forcés sur décision d’un tiers, pratiques d’isolement, de contention psychique et mécanique, thérapies comportementales atteintes aux droits humains, privation de liberté, ségrégation sociale en hôpital psychiatrique et en institution ne sont pas des pratiques d’exception en psychiatrie, elles en sont la règle.

Quand sont ainsi reproduites, dans nos luttes et nos communautés, des stratégies qui consistent à s’écarter et à exclure en retour les minorités les plus stigmatisées, les malades, les fols, les handicapéEs, pour atteindre des droits et une légitimité au sein d’un ordre social artificiel et violent, l’erreur est faite de relégitimer et d’approuver le maintien de mécanismes de discriminations psychiatriques dangereux, ce qui revient à prêter complaisamment le flanc au risque d’être repathologiséEs, repsychiatriséEs et soumisEs à nouveau aux violences de l’institution psychiatrique selon les contingences politiques et la volonté du pouvoir en place. Rappelons-nous qu’il ne faut jamais qu’un instant pour se voir retirer des droits pour lesquels il a fallu se battre pendant des décennies.

Nous avons un devoir de radicalité. Il ne peut s’agir d’élargir pour les identités queer les déterminations de la normalité cis hétéropartriarcal ou de déplacer la frontière du normal et du pathologique quand celle-ci a toujours consisté dans l’Histoire à criminaliser et pathologiser les mêmes minorités. Tant que la psychiatrie ne sera pas abolie, sa menace reste entière. Nous devons abattre cette frontière. Nous devons nous attaquer à la solidarité des systèmes d’oppression et à leur complémentarité avec le validisme, avec la psychophobie et avec l’institution psychiatrique. Nous devons nous battre pour que le pouvoir et le système psychiatrique soient abolis, pour que nous puissions toustes nous soustraire à sa violence et à son arbitraire.

(pdf : https://drive.google.com/file/d/1tUUV3pQcvR5sgjqnkJ9AdiEg2WyfCgd9/view?usp=sharing)


publié le 28 juin 2022

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