Le capitalisme a gagné.

Je ne crois pas en la révolution. Pour autant, je suis révolutionnaire, car si révolution il y a, et qu’elle correspond bien à mes idéaux libertaires, alors j’en serais. Mais je ne pense pas qu’elle peut survenir dans les pays Occidentaux comme la France. Ici, le capitalisme a gagné. Peut-être qu’il y a une centaine d’année, moins pour les plus optimistes, il était possible d’un changement brutal d’organisation du système, mais ça a l’air bien loin aujourd’hui.

Aujourd’hui, on se fait appeler éco-terroriste pour avoir dégradé un terrain de golf. Aujourd’hui, les lobbyistes anti-trans clament qu’il existe un lobby LGBT. Aujourd’hui, c’est la merde, voilà. Je voulais faire une répétition pour appuyer l’effet mais y a trop de trucs. Et demain, la révolution ne viendra pas. Demain, le fascisme arrivera, par les élections ou autrement.

Je pense que le capitalisme a gagné, qu’il restera imbattable jusqu’à ce qu’il cause notre perte dans un Effondrement climatique et social dramatique. Marx avait tort. Nous ne transitionnerons pas inéluctablement vers le socialisme, l’Histoire va s’arrêter, et si on accélère, c’est vers sa fin.

Il a gagné dans son instauration et maintien des catégories sociales. Outre la bourgeoisie et le précariat, il s’est amélioré et a créé une troisième classe, la classe moyenne, celle qui s’estime heureuse de pouvoir consommer dans une moindre mesure, d’avoir un semblant de stabilité dans sa vie, celle qui à peur de finir dans la basse classe, si bien que tout ce qu’elle perd, elle le blamera non pas sur les riches qui en sont la cause, mais sur les pauvres pour être d’autant sûr que la catégorie s’éloigne d’elle. Quant à celle-ci, les inégalités grandissantes ne laissent aux pauvres que le choix de mourir ou survivre au mépris de leur bien-être. Soit ils sacrifient leur santé tout en faisant profiter ceux qui les oppressent, soit ils se débrouillent, bien souvent en volant, plus ou moins directement, à la classe moyenne. Cette guerre entre les deux catégories est orchestrée par les plus riches, qui, en possessions des médias, nourrissent la classe moyenne d’une haine du pauvre, de l’immigré, de l’handicapé, du queer. En échelonnant plus les richesses, et en conservant la largeur des inégalités, le capitalisme a évolué. Un cadre sup, un mec hétéro-cis blanc qui joue avec des cryptomonnaies, un petit proprio, ils se sentent tous plus proche du milliardaire que du sdf en bas de chez eux. Le capitalisme se réapproprie jusqu’à la lutte des classes, qui ne seront non plus les 1 % contre le monde, mais les plus pauvres contre les peut-être bientôt riches.

Il a gagné sa bataille contre les esprits, et contre la rébellion. Chaque sursaut libérateur sera l’occasion de faire une avancée sécuritaire, adoubée par la classe moyenne qui a peur de la classe basse. Si avant, le prolétariat n’avait pas d’autre choix que de former un front uni face à ceux qui les enterrent, aujourd’hui, l’espérance de sortir de sa classe, le rêve américain, empêchent la rage de s’accumuler en bas contre ceux d’en haut. L’espoir est une fuite contre-révolutionnaire. Le capitalisme s’est adapté, et il le fera encore, enrichi par tous les moyens de contrôle de la population qu’il a aujourd’hui.

Le capitalisme s’impose aujourd’hui partout, de plus en plus uniformément. Il n’y a presque plus de bastion de résistance dans le monde. Il s’enrichit en traversant toutes les frontières et en les fermant pour les humains qui veulent traverser derrière lui. Il manipule l’opinion publique savamment. Il sait s’adapter, jouant aisément de la menace du fascisme qu’il brandit aussi fréquemment qu’il le souhaite.

Que les réformistes, les soc-dem, en aient bien conscience : vous avez sûrement une part de responsabilité à cela. Votre manque de radicalité, votre bonne volonté à discuter avec les fascistes, votre conciliance avec le capitalisme est ce qui lui a permis d’évoluer aussi rapidement. Quand on a face à soi des gens porteur d’un projet libérateur, et que d’autres proposent de ne faire que quelques concessions, il est évident de choisir la facilité. Vous n’avez fait qu’empêcher la colère, que de la transformer en interminable parcours bureaucratique et électoral qu’inéluctablement vous perdez. Pire, vous avez fait du capitalisme quelque chose de supportable pour une majeure partie de la population, ce qu’il était loin d’être dans son état brut. Votre stratégie pour attirer un maximum de vote fait qu’il est aujourd’hui impossible d’en avoir, fait qu’aujourd’hui on arrive à des taux d’abstentions si fort. En repeignant le capitalisme en plus souriant, vous avez éloigné une grande partie de la population de la politique. Vous avez aidé à créer l’espoir et cette classe moyenne. Le confort éphémère que vous avez permis est construit sur l’enfer des plus pauvres, des plus minoritaires qui eux ont le plus besoin de l’abolition du capitalisme.

Bon, c’est bien beau de faire le constat de la victoire du capitalisme, mais on fait quoi du coup ? On abandonne ? Je ne pense pas non. Il nous faut nous aussi nous adapter. Contre l’espoir, nous devons vivre avec l’énergie du désespoir. N’espérons rien du système, organisons-nous nous mêmes. Il faut développer les réseaux d’entraides, les actions solidaires, sans attendre l’aval de l’État, construire une société du don sous les radars, s’approprier des lieux, transmettre une idéologie non pas en grand discours à la télévision, puisqu’on passerais plus de temps à essayer d’atteindre les plateaux qu’à parler, mais en l’appliquant. Alors, une fois que tout cela sera développé, nous pourrons progressivement envisager de nous émanciper totalement du système. Nous devons nous rendre autonomes.

Pour ce qui ressemble à des révolutions plus classiques, il y a des possibilités dans le Sud, comme nous le montre l’exemple du Rojava ou celui des Zapatistes. Là où existe ces réseaux anticapitalistes. Et c’est pour les défendre que certains vont prendre les armes. S’il n’y a rien à défendre, les gens ne vont pas partir faire face au capitalisme. Pour faire front, il faut de quoi tenir derrière les lignes. Il faut sortir les plus pauvres de ce besoin de survivre, et non pas comme le font des associations caritatives, finalement au service du système en leur permettant d’éviter d’avoir à s’occuper des besoins primaires des travailleurs qu’elle va oppresser. Il nous faut aussi vivre sans le système, créer nos propres loisirs, notre propre care, nos propres lieux de vie et rendre cela accessible à tous. Creuser le capitalisme à la petite cuillère, le vider en partie pour se faire une place discrète où on ne dépend pas de lui. Alors là, nous aurons un espace pour accumuler la rage, et peut-être que renaîtra la possibilité révolutionnaire. Mais le plus important est qu’à notre niveau, nous nous arrangeons pour échapper au système et de tendre la main pour que d’autres fassent de même.

N’espérons pas une révolution, agissons.


publié le 26 août 2023

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