Contrairement aux conspirationnistes, Umberto Eco n’a aucun mal pour sa part à penser « que c’est par hasard ou par un concours de diverses stupidités que se sont produit la plupart des évènements qui l’on tourmenté au cours des millénaires, de la guerre de Troie à nos jours […] mes semblables sont trop stupides pour en concevoir un à la perfection. » (Eco,p.145 )
Eco s’attarde de plus prêt à la théorie voulant que l’alunissage des Américains ait été tourné en studio. Il souligne les faits suivants : il aurait fallu la collaboration si ce n’est de milliers, au moins de centaines de personnes... aucun n’aurait jamais parlé pour une somme adéquate ? Et enfin, il ne faut pas oublier les Soviétiques dans cette histoire, qui avaient tout intérêt à dévoiler la supposée fraude au reste du monde. Les Soviétiques seraient restés muets ? C’est ce qu’appelle Umberto Eco « la preuve du silence ».
Michel Musolino, l’auteur du livre « Le guide du parfait complotiste » emprunte aux milieux informatiques un principe logique ; le rasoir d’Hanlon qui affirme : « il ne faut jamais attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer […] beaucoup d’évènements qu’on attribue à la ruse ou au sombre calcul s’expliquent par la bêtise ou l’incompétence des acteurs. » (Musolino,p.106)
Du doute à la déresponsabilisation
Les incendies qui ont ravagé cet été de nombreux hectares de forêt au Québec ont été également l’objet de conspirations loufoques. Pour les conspirationnistes, il est plus facile de croire en l’œuvre d’une main malveillante,que d’envisager que nous vivons de plein fouet les conséquences des changements climatiques. Non !, l’État n’a pas délibérément allumé des feux de forêt pour s’accaparer les ressources naturelles. Par contre, les gouvernements et les capitaines d’industrie par leur aveuglement volontaire, leur louvoiement, voir leur incompétence à lutter véritablement contre les changements climatiques en portent la responsabilité.
Umberto Eco souligne que « La psychologie du complot naît de ce que les explications les plus évidentes de faits préoccupants ne nous satisfont pas, car cela nous fait mal de les accepter. » (Eco, p.147.) Dans le même ordre d’idée, le Zetkin Collective écrit dans Fascisme fossile : « Les psychologues ont montré que lorsque des individus ressentent une perte de contrôle, ils sont enclins à créer des schémas de perceptions illusoires pour restaurer un sentiment de contrôle : les théories du complot sont une option. » (Zetkin Collective, p.302).
Si les incendies font partie d’un complot, il ne reste qu’au lanceur d’alerte à exposer les conspirateurs au grand jour et se débarrasser des comploteurs ; un beau programme. C’est pratique, on s’évite à la fois l’écoanxiété et les questions qui remettent en question notre mode de vie nord-américain. Umberto Eco écrit : « L’interprétation suspicieuse, en un certain sens nous dédouane de nos responsabilités, car elle nous laisse penser que derrière ce qui nous préoccupe se cache un secret et que l’occultation de ce secret constitue un complot à nos dépends. » (Eco p.148)
Une nouvelle forme de théisme
Quiconque s’est frotté aux adeptes de Qanon et leur théorie "deep state" et des pédo-satanistes, ou encore à un platiste a constaté que nous ne sommes plus dans l’ordre du rationel mais dans celui de la croyance. Comme le souligne Umberto Eco : « les gens ne veulent pas savoir, ils veulent au contraire combler leur besoin de croire quitte à croire en des choses fausses (Eco p.154). Dans le même ordre d’idée l’auteur du livre « Le guide du parfait complotiste » écrit : « les théories du complot ne sont pas une pathologie ; elles sont en réalité plus proches de l’idéologie aveugle, du sectarisme ou de l’intégrisme religieux. » ( Musolino,p.68)
À lire aussi : Lecture de circonstance : « Le guide du parfait complotiste »
Bibliographie :
Eco Umberto, Chroniques d’une société liquide (Pape Satàn Aleppe. Cronache di una società liquida, 2016), Grasset, 2017
Musolino Michel ,Le Guide du parfait complotiste, Le Cherche Midi, 2022
Zetkin Collective, Fascisme fossile : l’extrême droite, l’énergie, le climat. Paris : La Fabrique, 2020