Le sionisme, qu’il soit de tendance messianique ou libérale, a toujours reposé sur l’affirmation que les Juif·ves sont les véritables souverain·es de la Terre d’Israël, « de retour » chez elles et eux après un exil de 2000 ans. Cette idée a été, et est utilisée, afin de justifier l’instauration d’un régime suprémaciste juif en Palestine.
Aujourd’hui, l’idée que les Juif·ves sont les descendant·es des Judéen·nes est toujours largement répandue dans la société israélienne.On l’entend en France aussi, à droite et à l’extrême-droite de l’échiquier politique, lorsqu’il est question de nier le fait colonial israélien. Simon Moos affirme ainsi sur I24 News que les Juif·ves sont des Judéen·nes, et Meyer Habib, sur X, « qu’un juif ne sera jamais un colon ni en Judée, ni en Samarie, ni à Jérusalem ».
Mais cette rhétorique suprémaciste, cette instrumentalisation de l’histoire qui ressemble beaucoup à la formule facho « la France aux Gaulois », est nettement moins audible dans les espaces progressistes. Alors attention, l’idée n’y est pas absente, elle est exprimée à travers un autre vocable emprunté aux luttes d’émancipation, structurantes dans les milieux de gauche. On ne dit pas « les descendant·es des Judéen·nes sont chez elles et eux en Eretz Yisrael » , mais on parle « du droit à l’émancipation des peuple », à « l’autodétermination » ou encore « de lutte décoloniale ».Lors d’un colloque EELV sur l’antisémitisme, le rabbin Emile Ackermann définit le sionisme comme un projet « d’autodétermination du peuple juif sur sa terre ». De passage dans l’émission Twitch Backseat, Hannah Assouline, fondatrice des Guerrières de la Paix, affirme que « la création de l’État d’Israël à l’origine, quelles que soient toutes les erreurs qui ont été commises et toutes les injustices qui ont été perpétrées, était un projet qui était précisément d’émancipation et d’autodétermination des peuples qui s’inscrit plutôt dans les luttes décoloniales ». Milo Lévy-Bruhl, chercheur en philosophie politique à l’EHESS, déclare sur X que le sionisme serait « la forme juive du projet décolonial ». Enfin, dans la revue Daï du collectif Golem qui se revendique comme « le mouvement des Juif·ves de gauche contre l’antisémitisme », on peut lire que « le sionisme, en tant que principe, est la reconnaissance du caractère autochtone du peuple juif à la terre d’Israël, et de son droit à s’y déterminer ».
Ces déclarations sont d’une part, le résultat de l’intégration au sionisme d’une conception antisémite de l’identité juive – les Juif·ves hors d’Israël sont des étranger·es – et relèvent d’autre part d’un révisionnisme historique qui évacue l’histoire de la Nakba et tait le sort des Palestiniens. Elles permettent de délégitimer la lutte pour leur libération, et la reconnaissance du sionisme comme un projet colonial de peuplement, dont l’histoire a débuté bien avant la création d’Israël. Elles font de la dépossession des Palestinien·nes, par laquelle le sionisme se concrétise, une condition de l’émancipation des Juif·ves. En creux, elles font des Palestinien·nes les véritables colons de la Palestine, car si les Juif·ves y sont sur leur terre, et si la création d’Israël est le résulat d’un projet de décolonisation, que sont les Palestinien·nes si ce n’est des étranger·es, des envahisseur·ses ?Pour comprendre comment cette formidable inversion s’est construite, notamment dans des espaces qui se revendiquent de l’antiracisme et de la lutte contre l’antisémitisme, nous publions avec son autorisation la traduction d’une bande-dessinée de l’historien et illustrateur Solomon Brager.
Si l’histoire de la racialisation des Juif·ves états-unien·nes ou de leur dilution dans la blanchité diffère de celle des Juif·ves français·es, marquée par la Shoah et la colonisation du Maghreb, nous jugeons néanmoins qu’elle permet d’éclairer notre contexte, et de nous armer face à ceux qui à gauche drapent un discours de guerre dans une rhétorique de paix.
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