Aujourd’hui, j’ai vu ma psy

L’autre jour, j’ai vu ma psy.

Comme d’hab, elle m’a demandé si ça allait. Et j’ai pas su répondre. Parce que non ça va pas, et depuis un bail. J’ai l’impression que le monde s’écroule autour de moi. Entre ce qu’il se passe en Palestine, au Liban et ailleurs, Macron qui choisit un mec pro manif pour tous en guise de premier ministre, qui a lui même nommé au gouvernement d’autres personnes qui se battaient contre le mariage homosexuel, la montée du fascisme en Europe, les agressions transphobes et homophobes que subissent mes potes dans la rue, l’université qui ferme des amphis à cause de l’amiante, les médias qui continuent de propager la haine raciale et islamophobe… non, ça ne va pas, pas du tout. Je n’arrive plus à m’imaginer demain. Et parfois, j’ai juste envie que tout s’arrête, de disparaître de cette terre. Parce que j’ai l’impression qu’il n’y a plus d’espoir. Et j’ai peur. J’ai peur de faire des crises suicidaires et de ne pas être prise en charge en temps, les hôpitaux et CMP étant saturés. J’ai peur de tenir la main à ma copine dans la rue. J’ai peur de sortir avec mes piercings et mes cheveux colorés. J’ai peur pour moi, pour mes proches. J’ai peur d’être qui je suis, et j’ai l’impression de ne plus avoir le droit d’être qui je suis. Non, ça va pas. Et on est pleins à avoir un brouillard dans notre tête qui s’assombrit de jour en jour.

Alors, on a voulu se rencontrer, et s’organiser. Pour que notre colère ne reste plus cachée au fond de nous. Nous avons voulu nous rencontrer sur nos lieux d’études, à Pont de Bois, le mardi 8 octobre à 18:30 pour une Assemblée Générale interfac. Une salle à été demandée à l’université, et on s’est pris un refus. En arrivant à la fac le jour J, bizarrement la sécu ne voulait plus laisser rentrer personne dans les bâtiments alors qu’il n’était que 18:30, la fac fermant normalement à 20h. Nous avons toute fois réussi à nous retrouver dans une salle. Là, on a parlé de notre colère, de nos peurs, de nos espoirs. On a parlé entre nous de ce que nous voulions faire. L’université a toujours été un lieu de réflexion et d’organisation politique pour les étudiant.e.s. Mais bizarrement, on observe de plus en plus une certaine réticence à nous laisser nous y organiser.

L’AG s’est donc tenue dans cette salle. Et puis, à 20:20, elle s’est transformée en scène de film. D’un coup, des flics sont entrés par une fenêtre ouverte. Au même moment, un groupe de baqueux enfonçait la porte de devant, et un autre celle de derrière. Ils sont entrés comme ça, en hurlant, retournant violemment tables et chaises sur leur passage, alors que celles ci ne les empêchaient pas de passer. Juste histoire de, pour le spectacle, pour faire peur. Ils nous ont sortis un à un, nous ont fouillé, pris en photo, nous ont mis la pression pour qu’on lâche des infos personnelles et nos numéros de téléphone (qu’il n’est pas obligatoire de donner lors d’un contrôle d’identité). Et pis ben, qu’est ce que tu veux faire face à des keufs qui font trois fois ta taille et ton pois, a part fermer ta gueule et obéir en silence. 

Ils sont arrivés comme ça, sans qu’on ait le temps de comprendre. En rentrant chez moi, j’ai pleuré dans les bras de mes colocs. Parce que c’est trop.

L’année dernière, lors de l’occupation du Hall A de Lille 3, l’université avait au moins eu la décence d’envoyer aux occupant.e.s un papier prévenant qu’ils appelleraient la police si iels restaient. Et puis le jour est arrivé. 60 flics sont entrés de tous les côtés pour virer les 20 personnes présentes sur les lieux. Et je me rappelle de l’humiliation qu’on a subit ce jour là. On a dû essuyer des propos racistes, misogynes, transphobes, psychophobes et j’en passe de la part de ces « gardiens de la paix ». Et en silence encore une fois. Parce que le silence, c’est à ça qu’on essaye de nous réduire à la fac. Va en cours, obtient ton diplôme, et ferme la.

Hier, un blocus a eu lieu à science po. Et d’après les camardes présent.e.s sur les lieux, un flic a pointé son arme sur les étudiant.e.s en déclarant « yen a un qui bouge, je lui met une cartouche ». Et lorsque j’ai entendu du ça, je me suis revu gazée par les flics devant cette même école en mai dernier, lorsque l’on avait tenté de bloquer l’IEP en soutien au peuple Palestinien.

J’ai peur. J’ai peur de la police, parce qu’à chaque fois que je la croise, je sais que je vais être exposée à leur mépris et leur violence. J’ai peur de montrer ma colère, parce qu’à chaque fois, ça se termine en répression féroce. Et maintenant, j’ai peur d’aller à la fac. Parce que ce lieu que je considérais comme safe pour moi ne l’est visiblement pas. Et je m’interroge. Je m’interroge : comment Régis Bordet, président de l’université de Lille peut laisser passer ça ? Voir même, comment peut-il délibérément commanditer ça ? Quel président de fac envoie la bac à 20h à 20 étudiant.e.s qui discutent juste dans une salle. Quel président de fac envoie les flics réprimer dans la violence un blocus. Ce n’est pas un secret que la police a tendance à déborder lors de leurs interventions. Ce n’est pas un secret que le traitement accordé aux étudiant.e.s n’est pas le même en fonction de leur genre, leur couleur de peau, leur dégaine. Et c’est en toute connaissance de cause, en sachant très bien à quels risques il expose ses étudiant.e.s, que Régis Bordet mène sans scrupule une répression devenue presque systémique par le biais des forces de l’ordre. 

Je ne me sens plus chez moi dans le monde, je ne me sens plus chez moi dans la rue, et maintenant, je ne me sens plus chez moi à la fac.

J’ai l’impression de vivre dans une dystopie, dans un de ces films à la hunger games où on doit se contenter de survivre en fermant sa gueule lorsque l’on est en bas de l’échelle sociale. Et chaque jour, je perd peu à peu espoir. Et surtout, je perd l’envie de vivre. Parce que je n’ai plus la force de vivre dans un monde où je n’ai pas droit à la parole, où je n’ai pas le droit d’hurler et de partager ma colère, ou je n’ai pas le droit d’aimer qui je veux, et je n’ai pas le droit d’être qui je suis. Je n’ai plus la force. Mais je vais tenir. Je vais tenir et me battre pour les valeurs qui me sont chères. Pour la liberté, la liberté d’être, d’aimer, de s’exprimer, de se mouvoir. Pour ma famille, mes amoureux.ses, mes camarades, mes ami.e.s. Pour mes adelphes, mes trans, mes pédés, mes gouines, mes non binaires, mes bisexuelles. Pour mes zinzins, mes tox, mes précaires, mes pirates, mes punk, mes shlag. Pour mes racisé.e.s, queer, handicapé.e.s, prolos, sexisé.e.s…

Je vais continuer à me battre, à rester debout aux côtés de mes camarades. Pour nous, pour les autres. Contre Macron qui détruit nos services publiques et chie ouvertement sur la démocratie. Contre les médias qui nous diabolisent à chaque JT pendant qu’Israël tue dans l’indifférence la plus totale. Contre les forces de l’ordre, qui n’ont rien de gardiens de la paix. Contre Régis Bordet, qui mène encore et toujours une répression insensée contres les étudiant.e.s mobilisé.e.s. Contre ce vieux monde, qui ne veut pas de nous. Mais je ne pas suis désolée, le vieux monde devra faire avec nous. Parce qu’il est hors de question que je me taise, qu’on se taise. 


publié le 9 octobre 2024

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