Il y a quelques temps, un article intitulé Ni Manif pour tous, ni reproduction artificielle de l’humain était publié sur la Rotative. Cette tribune, signée par Alexis Escudero et Pièces et Main d’Oeuvre, semble avoir pour vocation l’amorce d’un débat autour de la procréation médicalement assistée (PMA). C’est là le seul point avec lequel nous nous accordons avec les auteurs de l’article : un débat sur le sujet est nécessaire. Voici donc quelques éléments de réflexion.
Procréation médicalement assistée et égalité
A l’heure actuelle, en France, la PMA est ouverte aux couples hétérosexuels infertiles ou porteurs d’une maladie grave susceptible d’être transmise à l’enfant. L’objectif est de pallier à une impossibilité physique à concevoir par le biais de différentes techniques médicales (stimulation ovarienne, insémination artificielle avec spermatozoïdes du conjoint ou ceux d’un donneur, fécondation in vitro). C’est une procédure longue, fortement médicalisée, souvent douloureuse physiquement et/ou psychiquement et qui se solde fréquemment par un échec ou un abandon de la procédure [1].
La PMA n’est donc pas exactement une solution miracle et peu fatigante destinée uniquement à la caste des bourgeois riches et eugénistes pressés d’obtenir l’enfant idéal par catalogue et aucune femme n’y a recours parce qu’elle trouve cela plus agréable que d’avoir une relation sexuelle avec son conjoint. Si des dérives eugénistes existent, elles ne justifient ni de généraliser hâtivement sur des situations complexes, ni de mépriser les souffrances de personnes qui ont été contraintes de recourir à cette béquille technologique (béquille qui est plutôt une jambe de bois c’est-à-dire, pour ceux qui y ont recours, un truc bancal et bourré d’échardes).
Plusieurs mouvements LGBTI [2] revendiquent aujourd’hui l’accès à la PMA pour les couples de lesbiennes et pour les femmes célibataires, ainsi que la reconnaissance légale des enfants nés ainsi d’une part, et de leurs parents d’autre part. Il s’agit bien de réclamer l’égalité. Une égalité subversive qui mettrait à mal le modèle patriarcal de la Famille Papa Maman. Une égalité qui permettrait aux lesbiennes et aux femmes célibataires de ne plus être soumises au cadre du mariage, au bon vouloir du copain qui éjacule dans un pot de yaourt [3] ou de devoir consentir à des rapports sexuels plus ou moins souhaités dans l’espoir de tomber enceintes. Il s’agirait bien d’avoir les mêmes droits et d’éviter la PMA à deux vitesses où soit l’on a les moyens de se payer les services d’une clinique à l’étranger, soit on bricole à la maison.
Revendiquer le droit à la PMA ce n’est pas revendiquer le droit à acheter du sperme, des ovules ou des embryons sur catalogue, c’est revendiquer le droit à une prise en charge médicale plus respectueuse, basée sur la gratuité et l’anonymat du don, envisagée non pas comme une solution miracle mais comme une possibilité délicate et complexe.
Contre un certain naturalisme [4]
Il y a longtemps que la procréation n’est plus un phénomène naturel. Les femmes ont lutté et continuent de se battre pour le droit à l’avortement, à la contraception, pour la liberté d’être autre chose que des matrices fécondables et fécondées, pour la possibilité d’exister. Il est parfaitement valable de s’opposer à la toute puissance que l’industrie, notamment pharmacologique, tente d’exercer sur nos corps et nos vies. Mais refuser la pilule parce qu’elle produit des déchets toxiques et provoque la féminisation de la population ou refuser la PMA parce qu’elle suppose l’utilisation de la génétique, c’est prôner un retour en arrière dangereux au lieu d’envisager une réappropriation des outils confisqués par l’industrie pharmaceutique [5].
En matière de parentalité, rien n’est naturel [6]. Faire des enfants au sein d’un couple hétérosexuel, les élever, les aimer et en tirer une satisfaction suprême ; c’est une injonction sociale, pas le rêve uniformément partagé de l’espèce humaine. Il s’agit donc là d’un construit social, d’un fait culturel. Si de nombreuses personnes souffrent du fait de ne pas pouvoir avoir d’enfants et dramatisent leur stérilité ou si d’autres ont sans cesse besoin d’expliquer qu’elles n’ont pas envie d’en avoir et que cela ne fait pas d’elles des êtres égoïstes, c’est aussi parce qu’on nous intime quotidiennement l’ordre de procréer pour être des êtres épanouis et qui se réalisent (en ce sens le fameux « désir d’enfant » dont nous rebat les oreilles n’est pas une aspiration biologique et personnelle mais une réponse socialement construite à une injonction culturelle).
Progresser c’est accepter que certaines personnes souhaitent avoir des enfants avec lesquels ils ont un lien biologique, que d’autres préfèrent l’adoption, que d’autres encore ne veulent pas d’enfant. Séparer ces comportements entre ceux qui seraient naturels et ceux qui seraient culturels pour sous-entendre que les premiers sont bons et les seconds mauvais, que cela soit au nom du refus de la tyrannie technologique ou d’une quelconque morale religieuse est tout aussi réactionnaire et, surtout, dangereux.
Victor Madeleine & Samira Drexler
P.-S.
Nous avons récemment lu l’ouvrage d’Alexis Escudero La reproduction artificielle de l’humain et nous n’en sommes pas revenus... Ce que nous y avons trouvé relève du confusionnisme le plus évident. En juxtaposant des idées parfois intéressantes l’auteur construit ainsi par raccourcis, extrapolations, décontextualisations et amalgames un discours paranoïaque et, sous couvert de critique radicale de la technologie, totalement réactionnaire. Nous n’avons pas ici souhaité faire une réponse frontale à ce texte mais nous dénonçons clairement l’entreprise à laquelle se livre Alexis Escudero et les idées misogynes, LGBT-phobes et naturalistes qu’il répand en se revendiquant des idées libertaires alors que ses propos le classent dans la catégorie des défenseurs de l’ordre établi et de la morale la plus rétrograde qui soit.
Notes
[1] Voir à ce sujet un article paru dans le numéro d’octobre du magazine Causette, dont l’introduction est disponible en ligne.
[2] LGBTI : Lesbiennes Gays Bis Trans Intersexes
[3] Chacun jugera ici des propos d’Alexis Escudero sur le sujet. Il écrit ainsi dans son ouvrage « Avec l’insémination artificielle tout est tellement plus simple ! Un coup de téléphone et le sperme est livré à domicile. L’abolition du coït entre mâle et femelle supprime du même coup les risques de maladies sexuellement transmissibles. Plus besoin surtout d’entretenir un mâle à l’année, ce qui est contraignant et coûte trop cher pour le peu de fois qu’on s’en sert (et imaginez en plus s’il ne fait pas la vaisselle) » (La reproduction artificielle de l’humain, p.89). Pour notre part nous ne sommes pas encore revenus d’un tel concentré de sexisme, de lesbophobie et de beauferie assumée.
[4] Le naturalisme donne une valeur morale à ce qui est désigné comme « naturel », qui serait par conséquent intrinsèquement bon et donc supérieur ou meilleur que ce qui est désigné comme « culturel ». Pour les tenants du naturalisme, il conviendrait donc d’obéir à la nature et de s’opposer à la légitimité des faits culturels et des construits sociaux. C’est notamment le courant de pensée de référence des tenants de la Manif pour Tous et des opposants à la supposée « théorie du genre ».
[5] En 2008, Beatriz Preciado, philosophe et féministe, proposait de « mettre en pratique un féminisme moléculaire et post-pornographique » dans un texte foutraque et jubilatoire qui propose notamment une autre utilisation des hormones pharmaceutiques. Quitte à rêver de révolution, on peut préférer celle-là.
[6] D’ailleurs l’idée même de nature est une construction sociale. Pour reprendre les mots de Gaston Bachelard, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
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